Sokushinbutsu (即身仏) désigne une pratique de moines observant une ascèse extrême et permettant à leur corps de ne pas connaître de putréfaction. Cette momification du vivant du pratiquant devient la preuve de sa foi et de la force de sa pratique, le moine est considéré comme étant devenu « Bouddha en ce corps ».
« Sokushinbutsu » : ascèse extrême et momification pour atteindre le Nirvana
Le culte de ces cadavres momifiés, adorés comme des bouddhas, existe depuis le milieu du XIVe siècle. On dénombre aujourd’hui 18 sokushinbutsu conservés dans diverses régions du Japon.
Kôbô Daishi Kûkai (774-835), le fondateur de l’école bouddhiste Shingon, est un célèbre exemple de sokushinbutsu. Dans son mausolée, situé dans le okuno-in (temple reculé) du monastère du mont Kôya, les moines viennent lui servir des repas quotidiennement, considérant qu’il est encore vivant.
En raison de ce contexte historique, la plupart des sokushinbutsu sont conservés dans des temples bouddhistes de l’école Shingon. Parmi eux, huit sont conservés dans la préfecture de Yamagata : six dans la région de Shônai, au pied des trois monts de Dewa (Gassan, Yudono et Haguro), et deux dans la région d’Okitama. Le fait que l’idéogramme 海 (kai) soit inclus dans le nom des sokushinbutsu est probablement dû au nom de Kûkai (空海). Il existe quatre autres momies dans la préfecture voisine de Niigata. Les préfectures de Fukushima, Ibaraki, Kanagawa, Nagano, Gifu et Kyoto en possèdent aussi une.
Pendant l’époque d’Edo, les temples de Yamagata étaient d’importants lieux de culte du mont Yudono. Le shintai (objet qui abrite une divinité) du mont Yudono n’est pas la montagne elle-même, mais le rocher d’où jaillissent des onsen, les sources chaudes. Ce rocher, formé par les minéraux contenus dans l’eau, est appelé « dôme thermal » en raison de sa forme arrondie.
Les moines qui sont passés par ce processus de momification étaient appelés isse gyônin (ascète de toute une vie). Ils étaient des pratiquants de bas rang venus d’autres régions et non pas des villages environnants. La secte Shingon les envoyait au mont Yudono pour qu’ils se développent spirituellement. Ils partaient ensuite en mission dans tout le pays pour concurrencer l’école Tendai, une secte rivale. C’est ce contexte de confrontation qui a influencé la pratique du sokushinbutsu dans la région de Shônai pendant l’époque d’Edo.
Momifiés après une ascèse extrême
Trois communautés religieuses étaient actives sur le mont Yudono : les moines de l’école Shingon, les shugenja (pratiquants du shugendô, un courant ascétique du bouddhisme japonais) et les isse gyônin. Les moines avaient leurs disciples pour leur succéder, et les shugenja, qui pouvaient avoir une famille, leur fils. En hiver, les moines devaient s’occuper de leur temple et les shugenja descendaient de la montagne pour leurs activités de mission ; c’est pourquoi ils ne pouvaient pas effectuer les mêmes ascèses extrêmement rigoureuses des isse gyônin. Selon la tradition des temples, ces derniers renonçaient à toutes céréales (riz, blé, etc.), ne mangeant que des plantes sauvages et des racines. Entièrement dévoués à cette vie spirituelle, ils vivaient dans la petite vallée de Senninzawa, un lieu dédié aux ascèses sur le mont Yudono (où se trouve par ailleurs le portique géant de la montagne).
On peut lire sur une stèle à la mémoire des isse gyônin qu’ils passaient 1 000 jours dans la montagne, ce qui veut dire qu’ils poursuivaient leur entraînement autour de Senninzawa même au cours des longs hivers enneigés du nord du Japon. Comme mentionné plus tôt, de nombreux onsen jaillissent du mont Yudono, et il semble qu’ils aient pu survivre au froid glacial grâce à ces sources chaudes.
Selon des archives datant de l’époque d’Edo (1603-1868), des croyants se rendaient dans ce coin reculé pendant l’hiver pour remettre des offrandes aux isse gyônin. Il est dit qu’au terme de leur pratique ascétique extrême, ils entraient vivant dans un cercueil avant d’être enterrés sous terre, une pratique appelée dochû nyûjô. Ils étaient sortis de leur cercueil trois ans et trois mois plus tard, devenant ainsi sokushinbutsu.
Cependant, une enquête de terrain dans les années 1960 menée par la faculté de médecine de l’université de Niigata a révélé que la plupart des corps avaient subi un traitement de déshydratation après leur mort. Dans le climat chaud et humide du Japon, il n’était pas possible d’effectuer une momification naturelle, comme c’était le cas en Égypte. Il fallait donc modifier artificiellement les corps afin de les conserver.
Il faut noter que le dochû nyûjô est une tradition transmise par certains temples bouddhistes et dont l’existence n’a été confirmée dans aucun document écrit de l’époque. Dans de nombreuses régions du Japon, on trouve des lieux où il est dit que des ascètes avaient été enterrés vivants, mais à chaque fois que des fouilles ont été menées, seuls des ossements humains ont été trouvés. On peut en déduire que très peu d’ascètes ont pu recevoir un traitement particulier après leur mort afin de devenir sokushinbutsu.