samedi 26 juillet 2025

EPISODE 3 des "80 000 PROFITEURS DE LA RÉPUBLIQUE"



Les Fonctionnaires-Sphinx

Les Fonctionnaires-Sphinx forment le troisième cercle : environ 6 000 cadres A+++ tapis dans les coulisses de l’État, invisibles au grand public mais indispensables au fonctionnement réel du système. Ni élus ni médiatisés, ils tiennent pourtant le pouls administratif : hauts inspecteurs, membres des grands corps techniques, préfets hors-cadre, patrons d’agences nationales, régulateurs « indépendants », eurocrates français et chefs de juridictions régionales. Leur pouvoir ne se mesure pas en discours, mais en notes secrètes, décrets d’application, normes techniques et calendriers budgétaires qui façonnent silencieusement la vie collective.

Ces Sphinx arbitrent sans jamais comparaître, verrouillent les procédures, retardent ou accélèrent une réforme d’un simple avis « technique », et se recyclent entre sièges feutrés de la République, postes-clé à Bruxelles ou conseils d’administration qu’ils étaient chargés de contrôler. Leur statut hors-catégorie, leurs primes discrètes et leurs missions « d’expertise » portent la dépense directe pour leurs rémunérations et frais de fonctionnement à près de 1,6 milliard d’euros par an — hors retraites spéciales et avantages en nature.

Grâce à eux, la néonoblesse dispose d’un mécanisme administratif blindé : aucune décision majeure n’avance sans leur sceau, aucune enquête interne ne franchit leur brouillard procédural. Ils transforment l’opacité en méthode, la lenteur en pouvoir, et l’irresponsabilité en règle d’or.

Voici la description des 7 nouveaux (sous) ordres identifiés.


ORDRE DES HAUTS-INSPECTEURS & DIRECTEURS CENTRAUX 
(IGAS, IGÉSR, Inspection générale de la Culture, IG Santé, Inspection des Affaires sociales, etc.)


Effectifs estimés

Environ 1 200 inspecteurs-généraux, chefs de mission et directeurs d’administration centrale de rang A+++

Fonctions clés

– Rédigent les rapports d’audit et les notes « confidentielles » qui orientent chaque réforme sectorielle,

– Contrôlent la dépense publique dans la santé, l’éducation, la culture, le social… sans contrôle externe réel,

– Délivrent ou retirent les labels, agréments et habilitations essentiels aux opérateurs publics et privés,

– Négocient directement avec Bruxelles, la Cour des comptes ou l’Inspection des finances pour verrouiller les calendriers.

Privilèges structurants

– Traitements complets : 6 000 € à 12 000 € nets/mois, plus primes de mission et frais de représentation,

– Statut hors-grille : logement de fonction possible, véhicules administratifs, frais de déplacement en « classe affaires » justifiés par l’expertise,

– Immunité professionnelle : leurs recommandations engagent des milliards, mais leur responsabilité reste théorique,

– Budget de fonctionnement propre : ≈ 35 M€ (déplacements, consultants, SI) totalement géré… par les inspections elles-mêmes.

Reproduction sociale

– Recrutement quasi exclusif dans le top 5 % des promotions ENA/INSP et par cooptation interne pour les « tours extérieurs »,

– Rotation structurée entre cabinet ministériel, inspection générale et direction d’agence pour consolider le réseau,

– Influence pérenne via les « rapporteurs seniors » : anciens inspecteurs en retraite active qui pilotent encore audits et comités ad hoc,

– Endogamie intellectuelle : même corpus réglementaire, même jargon, même clubs professionnels – la critique externe y est systématiquement filtrée.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + avantages : ≈ 145 M€,

– Crédits de fonctionnement propres : ≈ 35 M€,

– Total ≈ 180 M€ par an pour un cercle qui peut retarder, accélérer ou enterrer n’importe quelle réforme sectorielle… sans passer devant les électeurs.


ORDRE DES INGÉNIEURS DES GRANDS CORPS TECHNIQUES 
(Corps des Mines, Ponts & Chaussées, Armement, Télécoms…)


Effectifs estimés

Environ 2 500 ingénieurs A+++ répartis entre ministères stratégiques, autorités de régulation, opérateurs d’État et conseils d’administration de groupes qu’ils régulent.

Fonctions clés

– Écrivent les normes industrielles, énergétiques, numériques et environnementales qui s’imposent à tout le pays.

– Conçoivent ou valident chaque grand projet d’infrastructure : centrales, barrages, TGV, data centers, sous-marins.

– Assurent le lien pivot public-privé : siège de droit ou d’usage dans les CA d’EDF, Engie, Thales, Orange, etc.

– Négocient directement à Bruxelles ou à l’OTAN les paramètres techniques des directives et programmes d’armement.

Privilèges structurants

– Traitements complets 6 000 € à 13 000 € nets/mois selon grade, prime technique et prime de disponibilité.

– Pantouflage express : passage en cabinet de conseil, fonds d’investissement « infra », direction d’entreprise régulée puis retour au corps sans perte d’avancement.

– Retraite spéciale (calculée sur les six derniers mois), logement de fonction fréquent, voiture de service « pour astreinte ».

– Budget propre : ≈ 70 M€/an de frais d’études, missions à l’étranger, colloques… gérés en interne, sans contrôle parlementaire effectif. Masse salariale d’environ 300 M€/ an.

Reproduction sociale

– Recrutement quasi exclusif dans les 15 premiers rangs de l’École polytechnique, complété par Mines-Paris, Ponts-ParisTech, ENSTA.

– Endogamie de réseau : même promo X, mêmes promotions croisées dans les clubs Corps des Mines et Corps des Ponts.

– Mariages professionnels (ou familiaux) fréquents avec la haute banque ou la haute magistrature, bouclant un cercle d’influence.

– Culture technicienne dominante : jargon, rites de corps, publications internes, cooptation pour les détachements privés.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + avantages : ≈ 300 M€

– Crédits de fonctionnement propres : ≈ 70 M€

– Total ≈ 370 M€ par an pour un corps qui décide de plusieurs dizaines de milliards d’investissements publics… et siège ensuite là où il décide.


ORDRE DES HAUTS-PRÉFETS & RECTEURS HORS-CADRE
(préfets de zone de défense, préfets “chargés de mission”, recteurs et inspecteurs généraux d’académie hors concours)


Effectifs estimés

– Environ 500 hauts fonctionnaires :

– ≈ 200 préfets (dont hors-cadre et conseillers auprès des ministres),

– ≈ 50 préfets de région élargie ou de zone de défense,

– ≈ 250 recteurs, vice-recteurs et inspecteurs généraux d’académie de rang exceptionnel.

Fonctions clés

– Représentent l’État “à discrétion” : gestion des crises, répartition des dotations régionales, arbitrage des grands projets locaux.

– Délivrent ou retirent les habilitations (sécurité, grands rassemblements, ouvertures d’établissement, expérimentation pédagogique).

– Jouent le rôle de courroie politique entre Paris et les élus locaux ; peuvent bloquer ou accélérer un chantier, un permis, une subvention.

– Pilotent l’application pratique des réformes (sécurité civile, réforme du bac, plan Vigipirate, relance industrielle, etc.).

Privilèges structurants

– Traitement net 5 500 € à 11 000 € + primes de sujétion, logement de fonction “incontournable” (hôtel particulier ou résidence rectorale), chauffeur 6 j/7.

– Voiture de fonction à vie possible pour les préfets “en disponibilité de la République”.

– Réseau préfectoral fermé : entraide pour recasage (ambassade, entreprise publique, poste chez un grand concessionnaire d’autoroute).

– Couverture santé et retraite particulière (catégorie A+, départ anticipé, indexation sur l’indice terminal).

Reproduction sociale

– Recrutement quasi exclusif via l’ENA/INSP (ex-filière préfectorale) ou tour extérieur politique ; passage obligé par le corps des sous-préfets.

– Endogamie territoriale : fils/filles de magistrats, militaires, hauts fonctionnaires locaux.

– Promotion croisée : préfet →recteur → préfet de région → préfet hors-cadre conseiller ministériel

. – Après 62 ans : reconversion paisible dans les autorités indépendantes, les fondations d’utilité publique ou les comités Théodule.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + avantages en nature : ≈ 60 M€.

– Crédits de fonctionnement (logements, véhicules, frais de représentation, missions) : ≈ 20 M€.

– Total ≈ 80 M€ par an pour un corps capable de geler ou débloquer instantanément des centaines de millions d’euros de crédits territoriaux.


ORDRE DES DIRECTEURS D’AGENCES NATIONALES
(Santé publique France, ADEME, ANSES, ANSM, Pôle emploi / France Travail, CNRS, Inria, etc.)


Effectifs estimés

Environ 600 dirigeants de rang A+++ : présidents, directeurs généraux, directeurs scientifiques ou administratifs, secrétaires généraux et membres des conseils d’administration des grands opérateurs de l’État.

Fonctions clés

– Pilotent des budgets cumulés de plus de 40 milliards € (recherches, santé, emploi, environnement, énergie, numérique).

– Fixent normes sanitaires, standards de sécurité, feuilles de route climatiques ou critères d’allocation des aides à l’emploi.

– Délivrent ou retirent agréments, autorisations de mise sur le marché, labellisations « excellence scientifique ».

– Commanditent études et appels d’offres qui orientent la dépense publique, souvent sans contrôle parlementaire détaillé.

Privilèges structurants

– Rémunérations 9 000 € à 14 000 € nets/mois + primes de performance liées… à des objectifs qu’ils définissent eux-mêmes.

– Logements ou indemnités de résidence, voitures « de mission », frais de représentation international (COP, OMS, OCDE).

– Régime de retraite spécial pour certains établissements publics à caractère scientifique (CNRS, Inserm).

– Accès privilégié aux conseils d’administration de start-ups sous-traitantes ou de fondations qui financent leurs programmes.

Reproduction sociale

– Recrutement issu des grands corps techniques, ENA/INSP, agrégations de sciences, ou par détachement direct depuis les cabinets ministériels.

– Système de rotation interne : direction d’agence ➜ cabinet du ministre ➜ retour en agence (ou l’inverse) garantissant la continuité de réseau.

– Passerelles vers les organismes internationaux (OMS, OCDE, FAO, ONU-Environnement) puis retour en France avec avancement.

– Culture de la « publication institutionnelle » : rapports coproduits par les mêmes experts, cités pour s’auto-légitimer.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + avantages : ≈ 75 M€.

– Crédits propres de fonctionnement (locaux, systèmes d’information, missions internationales, communication) : ≈ 200 M€.

– Total ≈ 275 M€ par an pour un cercle de décideurs capable d’orienter, à lui seul, une dépense publique dix à quinze fois supérieure.


ORDRE DES RÉGULATEURS « INDÉPENDANTS »
(ARCEP, CRE, ART, AMF, HATVP – volet régulation, Autorité nucléaire, Défenseur des droits, etc.)


Effectifs estimés

Environ 450 dirigeants et rapporteurs : présidents, membres de collèges décisionnels, directeurs d’instruction, secrétaires généraux et conseillers juridiques de rang A+++.

Fonctions clés

– Décident des règles du jeu pour l’énergie, les télécoms, les transports, les marchés financiers, la transparence de la vie politique, la protection des données ou la sûreté nucléaire.

– Peuvent infliger des amendes de plusieurs centaines de millions d’euros, suspendre un service, bloquer une fusion, déclarer un ministre en conflit d’intérêts.

– Donnent un visa quasi-législatif à des textes réglementaires (codes de réseau, tarifs réglementés, cahiers des charges).

– Servent d’interface permanente avec Bruxelles et les lobbies sectoriels ; rédigent les “positions françaises” dans les négociations UE.

Privilèges structurants

– Mandats de six ans (parfois neuf), souvent non renouvelables… mais pouvant déboucher sur d’autres autorités.

– Rémunérations 9 000 € à 12 000 € nets/mois pour les présidents, primes de sujétion et voiture de fonction.

– Statut hybride : mi-fonction publique, mi-entreprise ; échappent pour l’essentiel aux règles de la LOLF et au contrôle parlementaire détaillé.

– Budget d’études et de conseil très souple, permettant de recruter cabinets privés ou anciens membres comme consultants.

Reproduction sociale

– Nomination politique discrète : ex-cabinets ministériels, anciens directeurs d’administration centrale ou membres des grands corps techniques.

– Passage en « revolving door » vers les groupes régulés : président de l’ARCEP → Orange ; conseiller HATVP → cabinet de lobbying.

– Réseaux franco-européens serrés (BEREC, ACER, ESMA, etc.), alimentant un marché de l’expertise paneuropéenne.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + avantages : ≈ 55 M€.

– Budgets de fonctionnement propres (sièges, missions, SI, études externes) : ≈ 460 M€ (agrégat PLF « Pouvoirs publics – Autorités indépendantes »).

– Total ≈ 515 M€ par an pour un cercle qui peut suspendre un opérateur, réécrire un tarif ou contraindre un ministre… sans jamais passer par les urnes.


ORDRE DES GRANDS DIPLOMATES ET EUROCRATES
(ambassadeurs titulaires ou « extraordinaires », représentants permanents auprès de l’UE/ONU, fonctionnaires AD14+ à la Commission ou au Parlement européen)


Effectifs estimés

Environ 250 hauts diplomates :

– 150 ambassadeurs en poste (hors résidents saisonniers).

– 40 représentants permanents ou chefs de mission multilatérale (ONU, OCDE, OTAN, UNESCO).

– 60 fonctionnaires français rang AD14+ à Bruxelles (directeurs, chefs d’unité).

Fonctions clés

– Négocient traités, directives et résolutions qui s’imposent ensuite au Parlement français.

– Orientent les programmes européens (fonds structurels, recherche, défense) et choisissent les projets « éligibles ».

– Servent de courroie d’influence entre la haute administration parisienne et les lobbies multinationaux.

– Façonnent la communication géopolitique de la France, tout en cumulant souvent des fonctions de conseil privé à la sortie.

Privilèges structurants

– Salaires nets d’impôt (10 000 € à 15 000 € /mois pour un ambassadeur, jusqu’à 18 000 € pour un directeur général AD15).

– Logement de fonction (résidence historique), chauffeur, staff domestique à la charge de l’État.

– Indemnités d’expatriation et frais d’éducation pour les enfants dans les écoles internationales.

– Immunité diplomatique, assurance santé premium, retraites calculées sur l’indice terminal.

Reproduction sociale

– Recrutement via le cadre A+ du Quai d’Orsay (concours cadre d’Orient, IEP + ENA/INSP).

– Fortes dynasties diplomatiques : enfants d’ambassadeurs ou de ministres conseillers.

– Passerelles vers Think tanks parisiens, cabinets de lobbying et firmes de défense après la carrière publique.

– Culture de réseau transnational : clubs « Brussels old boy », Alumni Collège d’Europe, ÉNA Bruxelles, etc.

Coût public annuel estimé

– Masse salariale + indemnités : ≈ 45 M€.

– Logements, résidences, voyages, frais de représentation : ≈ 30 M€.

– Total ≈ 75 M€ par an pour une élite qui rédige les règles du jeu international… puis conseille ceux qui les contournent.


ORDRE DES HAUTS MAGISTRATS 
(hors cassation, à ne pas confondre avec l’ordre supérieur des Seigneur du droit de l’épisode 1)

(premiers présidents et procureurs généraux de cour d’appel, chefs de chambre à la Cour des comptes régionales, procureurs financiers, présidents de tribunaux administratifs suprarégionaux, etc.)


Effectifs estimés

Environ 700 magistrats A+++ répartis ainsi :

– 70 premiers présidents de cour d’appel et 70 procureurs généraux associés.

– 200 présidents de formations spécialisées (cours administratives d’appel, tribunaux administratifs d’outre-mer).

– 50 hauts magistrats du Parquet national financier, JIRS et JAC.

– ≈ 310 présidents ou conseillers maîtres de chambres régionales de la Cour des comptes.

Fonctions clés

– Rendent les décisions d’appel définitives qui font jurisprudence dans 95 % des litiges civils et pénaux (la Cassation ne juge que la forme et l’application stricte du droit positif).

– Contrôlent la conduite des enquêtes financières les plus sensibles (délits boursiers, financement illicite, corruption électorale).

– Orchestrent les contentieux administratifs territoriaux : marchés publics, urbanisme, fiscalité locale.

– Délivrent ou retirent l’agrément « anti-blanchiment » des cabinets, certificats de réhabilitation, avis sur les préfets et élus mis en cause.

Privilèges structurants

– Traitement net 7 500 € à 11 000 €/mois, indemnités de sujétion, logement obligatoire pour certains chefs de cour.

– Voiture de fonction et service de sécurité en cas de dossier “sensible”.

– Carrière inamovible : seuls le CSM ou la formation disciplinaire du Conseil d’État peuvent les sanctionner… quasi jamais.

– Retraite à taux plein sur le dernier grade occupé, pension moyenne > 6 000 €/mois.

Reproduction sociale

– Sélection via l’École nationale de la magistrature (top classement) ou détachement des grands corps judiciaires.

– Cooptation par les commissions d’avancement ; parrainage interne pour accéder aux postes “à enjeux”.

– Rotation Paris/province : un passage en « grande cour » vaut grade, puis retour à un poste clé dans la capitale.

– Endogamie forte avec l’agrégation de droit, Sciences-Po et le Conseil d’État (tour extérieur).

Coût public annuel estimé

– Masse salariale et indemnités : ≈ 90 M€.

– Fonctionnement juridictionnel propre (frais d’enquête, expertises, sécurité, archives) : ≈ 15 M€.

– Total ≈ 105 M€ par an pour un groupe qui statue en dernier ressort (hors cassation) sur des milliers de contentieux… et garde l’opacité judiciaire comme première ligne de défense.



Gabriel de Varenne.