La psychologue Claire Petin explore les cinq piliers de la kakistocratie, ce système où l’incompétence règne en maître.
Le mot semble barbare, presque comique à première vue. Et pourtant, il décrit une réalité tristement familière. Kakistocratie : issu du grec kakistos (« le pire ») et kratos (« le pouvoir »), il désigne littéralement le pouvoir des pires. Apparu pour la première fois en 1644, le terme a souvent servi à dénoncer la médiocrité des gouvernants.
Mais à l’heure actuelle, il ne s’applique plus seulement à la sphère politique : il s’invite dans les entreprises, les institutions et les organisations de toutes tailles. Selon la psychologue Claire Petin, la kakistocratie repose sur cinq piliers fondamentaux.
1. L’effet Dunning-Kruger
« Les postes ne sont pas attribués aux plus compétents, mais aux plus fidèles ou aux plus arrivistes. L’incompétence et la médiocrité ne sont pas seulement tolérées, elles sont valorisées. Avec l’illusion de performance et l’effet Dunning-Kruger, ceux qui en savent le moins se retrouvent pourtant au pouvoir », poursuit Claire Petin.
2. La corruption
Dans le règne de la kakistocratie, les décisions se prennent entre initiés, à huis clos, dans une logique de connivence qui relègue le mérite au second plan. Claire Petin parle de corruption « sous toutes ses formes ».
« Dans ce système d’alliances négociées, les dirigeants ne travaillent plus pour le bien commun, mais pour leurs intérêts et ceux de leurs réseaux. Le copinage a du bon. »
3. L’affaiblissement des contre-pouvoirs
« Justice, médias, systèmes de contrôle sont neutralisés ou corrompus pour éviter toute remise en cause de l’autorité en place », analyse la psychologue. La critique devient dangereuse, l’indépendance suspecte. Les voix dissidentes sont marginalisées ou disqualifiées.
On le constate, par exemple, lorsque des lanceurs d’alerte sont poursuivis au lieu d’être protégés. Dans le monde de l’entreprise, cela pourrait se traduire par des audits internes “corrigés” avant publication, ou des comités d’éthique réduits à un simple rôle décoratif. Les contre-pouvoirs, au lieu d’équilibrer la hiérarchie, deviennent des complices passifs.
4. La manipulation
Le récit officiel prend le pas sur les faits, et la perception devient plus importante que la réalité. On le voit, par exemple, lorsqu’un gouvernement minimise une crise économique en multipliant les slogans optimistes ou en accusant “les circonstances extérieures”, plutôt que de reconnaître ses erreurs structurelles. De la même façon, certaines directions d’entreprises préfèrent mettre en scène une “réussite collective” dans leurs communications internes pendant que les licenciements se multiplient en coulisses.
Dans les deux cas, l’enjeu n’est pas de résoudre les problèmes, mais de maintenir l’illusion d’un contrôle, et donc, la légitimité du pouvoir en place. Claire Petin le confirme :
"Mensonges, rumeurs, propagande, boucs émissaires… pour les kakistocrates, tout est bon pour détourner l’attention des échecs et façonner l’opinion publique à leur avantage."
5. Le cynisme
« Les fautes ne sont jamais reconnues, les figures d’autorité se protègent entre elles, et les responsabilités sont systématiquement rejetées ailleurs. La mauvaise foi et la malhonnêteté ne sont plus des défauts mais des stratégies. » Dans un tel climat, l’éthique devient un handicap, et l’intégrité une naïveté.
Mais alors que l’on sait qu’ils sont médiocres ou incompétents, comment peuvent-ils rester à des postes à responsabilité sans jamais être inquiétés ?
Pourquoi les pires prospèrent-ils au pouvoir ?
La professeure en sciences du management Isabelle Barth a récemment remis le terme au goût du jour. Selon elle, la kakistocratie ne se limite plus à la politique, elle s’infiltre aussi dans l’entreprise, où l’incompétence peut être valorisée. Pour Claire Petin, le constat est amer : « que ce soit dans les sphères publiques ou privées, le règne des incompétents a de beaux jours devant lui. »
Cécilia Ouibrahim.

