vendredi 3 octobre 2025

La grande parodie ou la spiritualité à rebours

 



Le Messie juif est vu comme un leader humain, non divin, qui doit inaugurer une ère de rédemption, une ère de paix et de sécurité mondiale.

Selon l'eschatologie chrétienne, un tel homme providentiel est l'Antéchrist prophétisé, celui qui précède le Christ, et qui doit séduire et tromper l'humanité.

Les critères et caractéristiques que doit remplir le Messie (Mashiach en hébreu) selon la tradition juive :

Ces critères, comme le souligne le Rav David Touitou, viennent de sources juives traditionnelles et rabbiniques, basées sur les Écritures hébraïques (Tanakh), les enseignements talmudiques et les commentaires de "sages" comme Maïmonide (Rambam).

Ces caractéristiques permettent d'éliminer de très nombreux personnages pouvant incarner l'Antéchrist. Donald Trump, le Prince Charles, le Prince William, le Pape, etc., ne se qualifient absolument pas.

- Le Messie doit être issu du peuple juif.

- Il doit appartenir à la tribu de Juda.

- Il doit être un descendant direct de David et Salomon.

- Doit être un humain ordinaire, né de parents humains: pas de naissance miraculeuse ; il sera mortel.

- Doit être érudit en Torah.

- Doit être un leader charismatique et inspirant.

- Doit être un grand sage et prophète.

- Doit être un grand juge et un militaire.

- Doit encourager l'observance de la Torah: les mitsvot chez les Juifs et les lois noachides chez les non-Juifs.

- Il doit assembler les exilés juifs en Israël.

- Il doit reconstruire le Temple à Jérusalem, rétablir les sacrifices et les pratiques juives.

- Il doit instaurer la paix mondiale en mettant fin à toutes les guerres.

- Il doit rétablir la royauté davidique et le Sanhédrin: restaurer la dynastie de David, le tribunal suprême (Sanhédrin) et la loi juive comme loi de toute la terre.

- Amener la connaissance universelle de Dieu : tous les peuples reconnaîtront et serviront un seul Dieu.

- Établir Jérusalem comme capitale spirituelle de l'humanité.

- Avant son arrivée, il y aura des conflits et grandes tribulations, mais son règne marquera la fin des épreuves.

- Il établira une ère messianique : les non-Juifs chercheront la vérité juive volontairement.


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La grande parodie ou la spiritualité à rebours


(...) la constitution de la « contre-tradition » et son triomphe apparent et momentané seront proprement le règne de ce que nous avons appelé la « spiritualité à rebours », qui, naturellement, n’est qu’une parodie de la spiritualité, qu’elle imite pour ainsi dire en sens inverse, de sorte qu’elle paraît en être le contraire même ; nous disons seulement qu’elle le paraît, et non pas qu’elle l’est réellement, car, quelles que puissent être ses prétentions, il n’y a ici ni symétrie ni équivalence possible. Il importe d’insister sur ce point, car beaucoup, se laissant tromper par les apparences, s’imaginent qu’il y a dans le monde comme deux principes opposés se disputant la suprématie, conception erronée qui est, au fond, la même chose que celle qui, en langage théologique, met Satan au même niveau que Dieu, et que, à tort ou à raison, on attribue communément aux Manichéens ; il y a certes actuellement bien des gens qui sont, en ce sens, « manichéens » sans s’en douter, et c’est là encore l’effet d’une « suggestion » des plus pernicieuses. Cette conception, en effet, revient à affirmer une dualité principielle radicalement irréductible, ou, en d’autres termes, à nier l’Unité suprême qui est au delà de toutes les oppositions et de tous les antagonismes ; qu’une telle négation soit le fait des adhérents de la « contre-initiation », il n’y a pas lieu de s’en étonner, et elle peut même être sincère de leur part, puisque le domaine métaphysique leur est complètement fermé ; qu’il soit nécessaire pour eux de répandre et d’imposer cette conception, c’est encore plus évident, car c’est seulement par là qu’ils peuvent réussir à se faire prendre pour ce qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas être réellement, c’est-à-dire pour les représentants de quelque chose qui pourrait être mis en parallèle avec la spiritualité et même l’emporter finalement sur elle.

Cette « spiritualité à rebours » n’est donc, à vrai dire, qu’une fausse spiritualité, fausse même au degré le plus extrême qui se puisse concevoir ; mais on peut aussi parler de fausse spiritualité dans tous les cas où, par exemple, le psychique est pris pour le spirituel, sans aller forcément jusqu’à cette subversion totale ; c’est pourquoi, pour désigner celle-ci, l’expression de « spiritualité à rebours » est en définitive celle qui convient le mieux, à la condition d’expliquer exactement comment il convient de l’entendre. C’est là, en réalité, le « renouveau spirituel » dont certains, parfois fort inconscients, annoncent avec insistance le prochain avènement, ou encore l’« ère nouvelle » dans laquelle on s’efforce par tous les moyens de faire entrer l’humanité actuelle [...]. L’attrait du « phénomène », que nous avons déjà envisagé comme un des facteurs déterminants de la confusion du psychique et du spirituel, peut également jouer à cet égard un rôle fort important, car c’est par là que la plupart des hommes seront pris et trompés au temps de la « contre-tradition », puisqu’il est dit que les « faux prophètes » qui s’élèveront alors « feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes ». C’est surtout sous ce rapport que les manifestations de la « métapsychique » et des diverses formes du « néo spiritualisme » peuvent apparaître déjà comme une sorte de « préfiguration » de ce qui doit se produire par la suite, quoiqu’elles n’en donnent encore qu’une bien faible idée ; il s’agit toujours, au fond, d’une action des mêmes forces subtiles inférieures, mais qui seront alors mises en œuvre avec une puissance incomparablement plus grande ; et, quand on voit combien de gens sont toujours prêts à accorder aveuglément une entière confiance à toutes les divagations d’un simple « médium », uniquement parce qu’elles sont appuyées par des « phénomènes », comment s’étonner que la séduction doive être alors presque générale ? C’est pourquoi on ne redira jamais trop que les « phénomènes », en eux-mêmes, ne prouvent absolument rien quant à la vérité d’une doctrine ou d’un enseignement quelconque, que c’est là le domaine par excellence de la « grande illusion », où tout ce que certains prennent trop facilement pour des signes de « spiritualité » peut toujours être simulé et contrefait par le jeu des forces inférieures dont il s’agit ; c’est même peut-être le seul cas où l’imitation puisse être vraiment parfaite, parce que, en fait, ce sont bien les mêmes « phénomènes », en prenant ce mot dans son sens propre d’apparences extérieures, qui se produisent dans l’un et l’autre cas, et que la différence réside seulement dans la nature des causes qui y interviennent respectivement, causes que la grande majorité des hommes est forcément incapable de déterminer, si bien que ce qu’il y a de mieux à faire, en définitive, c’est de ne pas attacher la moindre importance à tout ce qui est « phénomène », et même d’y voir plutôt a priori un signe défavorable ; mais comment le faire comprendre à la mentalité « expérimentale » de nos contemporains, mentalité qui, façonnée tout d’abord par le point de vue « scientiste » de l’« antitradition », devient ainsi finalement un des facteurs qui peuvent contribuer le plus efficacement au succès de la « contre-tradition » ? 

Le « néo-spiritualisme » et la « pseudo-initiation » qui en procède sont encore comme une « préfiguration » partielle de la « contre-tradition » sous un autre point de vue : nous voulons parler de l’utilisation, que nous avons déjà signalée, d’éléments authentiquement traditionnels dans leur origine, mais détournés de leur véritable sens et mis ainsi en quelque sorte au service de l’erreur ; ce détournement n’est, en somme, qu’un acheminement vers le retournement complet qui doit caractériser la « contre-tradition » ; mais alors il ne s’agira plus seulement de quelques éléments fragmentaires et dispersés, puisqu’il faudra donner l’illusion de quelque chose de comparable, et même d’équivalent selon l’intention de ses auteurs, à ce qui constitue l’intégralité d’une tradition véritable, y compris ses applications extérieures dans tous les domaines. On peut remarquer à ce propos que la « contre-initiation », tout en inventant et en propageant, pour en arriver à ses fins, toutes les idées modernes qui représentent seulement l’« antitradition » négative, est parfaitement consciente de la fausseté de ces idées, car il est évident qu’elle ne sait que trop bien à quoi s’en tenir là-dessus ; mais cela même indique qu’il ne peut s’agir là, dans son intention, que d’une phase transitoire et préliminaire, car une telle entreprise de mensonge conscient ne peut pas être, en elle-même, le véritable et unique but qu’elle se propose ; tout cela n’est destiné qu’à préparer la venue ultérieure d’autre chose qui semble constituer un résultat plus « positif », et qui est précisément la « contre-tradition ». C’est pourquoi on voit déjà s’esquisser notamment, dans des productions diverses dont l’origine ou l’inspiration « contre initiatique » n’est pas douteuse, l’idée d’une organisation qui serait comme la contrepartie, mais aussi par là même la contrefaçon, d’une conception traditionnelle telle que celle du « Saint-Empire », organisation qui doit être l’expression de la « contre-tradition » dans l’ordre social ; et c’est aussi pourquoi l’Antéchrist doit apparaître comme ce que nous pouvons appeler, suivant le langage de la tradition hindoue, un Chakravartî à rebours.

Ce règne de la « contre-tradition » est en effet, très exactement, ce qui est désigné comme le « règne de l’Antéchrist » : celui-ci, quelque idée qu’on s’en fasse d’ailleurs, est en tout cas ce qui concentrera et synthétisera en soi, pour cette œuvre finale, toutes les puissances de la « contre-initiation », qu’on le conçoive comme un individu ou comme une collectivité ; ce peut même, en un certain sens, être à la fois l’un et l’autre, car il devra y avoir une collectivité qui sera comme l’« extériorisation » de l’organisation « contre-initiatique » elle-même apparaissant enfin au jour, et aussi un personnage qui, placé à la tête de cette collectivité, sera l’expression la plus complète et comme l’« incarnation » même de ce qu’elle représentera, ne serait-ce qu’à titre de « support » de toutes les influences maléfiques que, après les avoir concentrées en lui-même, il devra projeter sur le monde. Ce sera évidemment un « imposteur » (c’est le sens du mot dajjâl par lequel on le désigne habituellement en arabe), puisque son règne ne sera pas autre chose que la « grande parodie » par excellence, l’imitation caricaturale et « satanique » de tout ce qui est vraiment traditionnel et spirituel ; mais pourtant il sera fait de telle sorte, si l’on peut dire, qu’il lui serait véritablement impossible de ne pas jouer ce rôle. Ce ne sera certes plus le « règne de la quantité », qui n’était en somme que l’aboutissement de l’« antitradition » ; ce sera au contraire, sous le prétexte d’une fausse « restauration spirituelle », une sorte de réintroduction de la qualité en toutes choses, mais d’une qualité prise au rebours de sa valeur légitime et normale ; après l’« égalitarisme » de nos jours, il y aura de nouveau une hiérarchie affirmée visiblement, mais une hiérarchie inversée, c’est-à-dire proprement une « contre-hiérarchie », dont le sommet sera occupé par l’être qui, en réalité, touchera de plus près que tout autre au fond même des « abîmes infernaux ».

Cet être, même s’il apparaît sous la forme d’un personnage déterminé, sera réellement moins un individu qu’un symbole, et comme la synthèse même de tout le symbolisme inversé à l’usage de la « contre-initiation », qu’il manifestera d’autant plus complètement en lui-même qu’il n’aura dans ce rôle ni prédécesseur ni successeur ; pour exprimer ainsi le faux à son plus extrême degré, il devra, pourrait on dire, être entièrement « faussé » à tous les points de vue, et être comme une incarnation de la fausseté même. C’est d’ailleurs pour cela même, et en raison de cette extrême opposition au vrai sous tous ses aspects, que l’Antéchrist peut prendre les symboles mêmes du Messie, mais, bien entendu, dans un sens également opposé ; et la prédominance donnée à l’aspect « maléfique », ou même, plus exactement, la substitution de celui-ci à l’aspect « bénéfique », par subversion du double sens de ces symboles, est ce qui constitue sa marque caractéristique. De même, il peut et il doit y avoir une étrange ressemblance entre les désignations du Messie (El-Mesîha en arabe) et celles de l’Antéchrist (El-Mesîkh) ; mais celles-ci ne sont réellement qu’une déformation de celles-là, comme l’Antéchrist lui-même est représenté comme difforme dans toutes les descriptions plus ou moins symboliques qui en sont données, ce qui est encore bien significatif. En effet, ces descriptions insistent surtout sur les dissymétries corporelles, ce qui suppose essentiellement que celles-ci sont les marques visibles de la nature même de l’être auquel elles sont attribuées, et, effectivement, elles sont toujours les signes de quelque déséquilibre intérieur ; c’est d’ailleurs pourquoi de telles difformités constituent des « disqualifications » au point de vue initiatique, mais, en même temps, on conçoit sans peine qu’elles puissent être des « qualifications » en sens contraire, c’est-à-dire à l’égard de la « contre-initiation ». Celle-ci, en effet, allant au rebours de l’initiation, par définition même, va par conséquent dans le sens d’un accroissement du déséquilibre des êtres, dont le terme extrême est la dissolution ou la « désintégration » dont nous avons parlé ; l’Antéchrist doit évidemment être aussi près que possible de cette « désintégration », de sorte qu’on pourrait dire que son individualité, en même temps qu’elle est développée d’une façon monstrueuse, est pourtant déjà presque annihilée, réalisant ainsi l’inverse de l’effacement du « moi » devant le « Soi », ou, en d’autres termes, la confusion dans le « chaos » au lieu de la fusion dans l’Unité principielle ; et cet état, figuré par les difformités mêmes et les disproportions de sa forme corporelle, est véritablement sur la limite inférieure des possibilités de notre état individuel, de sorte que le sommet de la « contre hiérarchie » est bien la place qui lui convient proprement dans ce « monde renversé » qui sera le sien. D’autre part, même au point de vue purement symbolique, et en tant qu’il représente la « contre-tradition », l’Antéchrist n’est pas moins nécessairement difforme : nous disions tout à l’heure, en effet, qu’il ne peut y avoir là qu’une caricature de la tradition, et qui dit caricature dit par là même difformité ; du reste, s’il en était autrement, il n’y aurait en somme extérieurement aucun moyen de distinguer la « contre-tradition » de la tradition véritable, et il faut bien, pour que les « élus » tout au moins ne soient pas séduits, qu’elle porte en elle-même la « marque du diable ». Au surplus, le faux est forcément aussi l’« artificiel », et, à cet égard, la « contre-tradition » ne pourra pas manquer d’avoir encore, malgré tout, ce caractère « mécanique » qui est celui de toutes les productions du monde moderne dont elle sera la dernière ; plus exactement encore, il y aura en elle quelque chose de comparable à l’automatisme de ces « cadavres psychiques » dont nous avons parlé précédemment, et elle ne sera d’ailleurs, comme eux, faite que de « résidus » animés artificiellement et momentanément, ce qui explique encore qu’il ne puisse y avoir là rien de durable ; cet amas de « résidus » galvanisé, si l’on peut dire, par une volonté « infernale », est bien, assurément, ce qui donne l’idée la plus nette de quelque chose qui est arrivé aux confins mêmes de la dissolution.

Nous ne pensons pas qu’il y ait lieu d’insister davantage sur toutes ces choses ; il serait peu utile, au fond, de chercher à prévoir en détail comment sera constituée la « contre-tradition », et d’ailleurs ces indications générales seraient déjà presque suffisantes pour ceux qui voudraient en faire par eux-mêmes l’application à des points plus particuliers, ce qui ne peut en tout cas rentrer dans notre propos. Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés là au dernier terme de l’action antitraditionnelle qui doit mener ce monde vers sa fin ; après ce règne passager de la « contre tradition », il ne peut plus y avoir, pour parvenir au moment ultime du cycle actuel, que le « redressement » qui, remettant soudain toutes choses à leur place normale alors même que la subversion semblait complète, préparera immédiatement l’« âge d’or » du cycle futur.

René Guénon.


Note :

Le Chakravartî est littéralement « celui qui fait tourner la roue », ce qui implique qu’il est placé au centre même de toutes choses, tandis que l’Antéchrist est au contraire l’être qui sera le plus éloigné de ce centre ; il prétendra cependant aussi « faire tourner la roue », mais en sens inverse du mouvement cyclique normal (ce que « préfigure » d’ailleurs inconsciemment l’idée moderne du « progrès »), alors que, en réalité, tout changement dans la rotation est impossible avant le « renversement des pôles », c’est-à-dire avant le « redressement » qui ne peut être opéré que par l’intervention du dixième Avatâra ; mais justement, s’il est désigné comme l’Antéchrist, c’est parce qu’il parodiera à sa façon le rôle même de cet Avatâra final, qui est représenté comme le « second avènement du Christ » dans la tradition chrétienne. Il peut donc être considéré comme le chef des "awliyâ esh-Shaytân", et, comme il sera le dernier à remplir cette fonction, en même temps que celui avec lequel elle aura dans le monde l’importance la plus manifeste, on peut dire qu’il sera comme leur « sceau » (khâtem), suivant la terminologie de l’ésotérisme islamique ; il n’est pas difficile de voir par là jusqu’où sera poussée effectivement la parodie de la tradition sous tous ses aspects.


mercredi 1 octobre 2025

Fin de l’empire américain et leçons pour l’Inde


Cinq siècles de domination occidentale sur le monde touchent à leur fin. Ce sera le siècle de l’Asie, de l’Eurasie et de l’Afrique.




«Être un ennemi de l’Amérique peut s’avérer dangereux, mais en être un ami est fatal». Ce seraient là les mots d’Henry Kissinger, criminel de guerre et lauréat du prix Nobel de la paix, qui a profondément influencé la politique étrangère américaine. L’Inde ne doit pas oublier ce côté sombre de l’establishment américain, même si Biden a déclaré que les relations américano-indiennes étaient les plus importantes du siècle et que Trump a rencontré à plusieurs reprises Modi, le qualifiant de grand dirigeant. Le recentrage américain sur l’Inde repose sur trois faisceaux d’intérêts : la volonté de contenir la Chine, l’accès à une main-d’œuvre bon marché et un vaste marché de consommateurs. Les États-Unis n’ont pas de véritables alliés, seulement des intérêts narcissiques et impérialistes.

Modi a été l’un des rares dirigeants étrangers invités à la Maison-Blanche au cours du premier mois du mandat de Trump. De façon générale, les Indiens ont aussi une opinion très positive de Trump et des États-Unis en général. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les États-Unis jouissent d’un fort pouvoir d’influence en Inde : immigration, emplois dans la tech, succès des Américains d’origine indienne, popularité de la langue anglaise, financement occidental des think tanks indiens, investisseurs américains dans les médias indiens, tensions avec la Chine, etc. Cependant, l’Inde doit veiller à ne pas devenir «l’Ukraine de l’Asie» – un pion géopolitique sacrifiable de l’Empire américain.

Soyons clairs : les États-Unis veulent contrôler toutes les dimensions de l’Inde. Il y a quelques mois, l’ambassadeur américain en Inde a affirmé devant un public indien que l’autonomie stratégique n’existait pas. De façon inquiétante, cet avertissement est intervenu juste avant que les États-Unis ne mettent en scène une révolution de couleur au Bangladesh et ne renversent la Première ministre Hasina, qui n’était pas parfaite mais avait fait un travail remarquable pour relancer l’économie. La raison en était simple : la Première ministre Hasina (photo) avait refusé d’autoriser l’installation d’une base militaire américaine dans son pays.

De même, tout analyste géopolitique objectif peut voir comment les États-Unis ont orchestré des coups d’État au Pakistan et au Sri Lanka au cours de ces dernières années. Le Premier ministre Imran Khan a été évincé par un coup d’État «doux» après une pression manifeste des États-Unis, son parti a été interdit et il a été emprisonné. Voilà la liberté et la démocratie à l’américaine ! Son crime ? Être trop proche de la Russie. Quant au Sri Lanka, le parti au pouvoir était jugé trop pro-chinois. Bien entendu, les États-Unis ne pouvaient tolérer une telle indépendance.

L’histoire montre aussi que les États-Unis n’ont jamais été un véritable allié de l’Inde.

Alors que le ministère indien des Affaires étrangères se méfie de l’influence de la Chine dans le voisinage de l’Inde, il n’y a pratiquement aucune protestation contre l’ingérence américaine dans la sphère d’influence indienne. Les Indiens sont trop indulgents et oublient un fait : en 1966, les États-Unis/la CIA auraient probablement poussé à assassiner le Premier ministre Lal Bahadur Shastri et le scientifique nucléaire Homi Bhabha.

Pendant toute la guerre froide, les États-Unis ont saboté l’Inde en guise de punition pour sa politique de non-alignement et ses relations amicales avec l’URSS. Les États-Unis ont également encouragé l’Inde à entrer en guerre contre la Chine au sujet du Tibet, mais le président JFK a ensuite refusé toute aide militaire au moment crucial. Plus tard, lorsque le Bangladesh a cherché à devenir indépendant, les États-Unis ont envoyé des navires de guerre dans la baie du Bengale pour menacer l’Inde, qui n’a pu repousser les Américains qu’avec l’aide de l’Union soviétique.

Aujourd’hui, l’Inde n’a pas vraiment tiré profit de ses relations étroites avec l’Amérique.

À la fin de la guerre froide, les entreprises américaines se frottaient les mains à l’idée d’exploiter la Chine et l’Inde pour leur main-d’œuvre bon marché, dans l’industrie et les services respectivement. Cependant, la différence entre ces deux pays est frappante. Tandis que la Chine s’est concentrée sur la maîtrise des technologies et la création d’atouts nationaux, les élites indiennes se sont contentées d’utiliser des produits américains. Le résultat se voit dans les géants technologiques chinois comme Huawei, BYD, ByteDance (maison-mère de TikTok) et 135 autres entreprises figurant dans le classement Fortune 500, contre seulement 9 pour l’Inde.

Dans le domaine de l’IA, la technologie la plus perturbatrice du siècle, la Chine détient 60% des brevets, contre moins de 1% pour l’Inde. Dans de nombreux autres secteurs – voitures électriques, panneaux solaires, batteries, smartphones, semi-conducteurs, robotique, cloud computing, biotechnologie, exploration spatiale, avions de chasse, navires de guerre, etc. – la Chine a largement dépassé l’Inde.

Pourquoi l’Inde a-t-elle pris du retard ? Parce que nous suivons le modèle économique américain du capitalisme financiarisé, et nous nous sentons en sécurité dans la dépendance au dollar américain, à la technologie américaine, aux médias américains, à la médecine américaine, aux investissements américains, etc.

L’Inde laisse également sa politique étrangère être dictée par les États-Unis plus que de raison. Par exemple, nous pourrions acheter du pétrole et du gaz bon marché à l’Iran, et nous aurions pu commencer à réaliser le projet du port de Chabahar depuis longtemps. Mais l’Inde fait trop preuve de déférence envers les sanctions américaines. De même, le fait que l’Inde rejoigne le QUAD et d’autres accords «indo-pacifiques» pour contenir la Chine, ou refuse de rejoindre la Belt and Road Initiative, ne fait que servir les manœuvres géopolitiques américaines de division et de domination.

Actuellement, les États-Unis tirent bénéfice de l’Inde de multiples façons : main-d’œuvre indienne relativement peu chère dans l’industrie du logiciel, main-d’œuvre de fabrication ultra-bon marché pour des entreprises comme Apple, immense marché de consommateurs issus de la classe moyenne croissante, startups indiennes ouvertes aux investisseurs américains, achats d’armes américaines par le gouvernement indien, et l’Inde en tant qu’outil géopolitique potentiel pour contenir la Chine diplomatiquement, économiquement et militairement.

Cependant, le soft power américain ne durera pas longtemps en Inde. D’abord, les États-Unis vont bientôt restreindre l’immigration en provenance de l’Inde, en particulier pour les travailleurs technologiques H1-B. L’«alt-right» américaine raciste a déjà commencé à diaboliser les Indiens. Ensuite, les États-Unis vont commencer à contenir l’Inde à mesure que celle-ci continue de croître et de devenir plus indépendante. Les États-Unis peuvent autoriser des Indiens à devenir PDG de Google ou de Microsoft, mais ils ne toléreront pas des entreprises indiennes qui concurrencent Google ou Microsoft. Les États-Unis maintiennent leur hégémonie mondiale non pas grâce à des partenaires égaux, mais via un réseau de vassaux.

Même les Européens commencent enfin à sortir de leur sommeil hypnotique. Le nouveau chancelier allemand, Merz, a déclaré que l’Europe devait œuvrer à son indépendance vis-à-vis des États-Unis.

Dans l’ensemble, nous assistons au cycle inexorable de l’histoire, dans lequel un nouvel empire est au bord de l’effondrement. Cependant, contrairement aux derniers siècles, les États-Unis ne seront pas remplacés par un autre empire. Un monde multipolaire émerge pour démocratiser la géopolitique et la géoéconomie. Des organisations comme les BRICS offriront un nouveau paradigme de coopération et de développement aux nations du Sud global. Le privilège extraordinaire du dollar américain, qui sous-tend la tyrannie américaine des sanctions et des guerres sans fin, disparaîtra également.

Cinq siècles de domination occidentale sur le monde touchent à leur fin. Ce sera le siècle de l’Asie, de l’Eurasie et de l’Afrique. L’Inde doit donc élaborer sa stratégie en conséquence.

source : S.L. Kanthan via Euro-Synergies


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BONUS

La drogue qui détruit la jeunesse américaine


Philadelphie, Pennsylvanie, etc... Aux Etats-Unis, "la drogue du zombie" fait des ravages: un mélange de fentanyl, un puissant antidouleur, et de xylazine, un anesthésiant pour chevaux. Les effets de cette drogue sont presque immédiats.


Eric Gauthier.


mardi 30 septembre 2025

500 prêtres italiens s'engagent "contre le génocide" à Gaza




"Nous ne pouvons pas rester dans nos sacristies comme si rien ne se passait dehors" : 500 prêtres italiens s'engagent "contre le génocide" à Gaza


Un réseau intitulé "Preti contro il genocidio" a vu le jour en Italie. Il regroupe des centaines de prêtres italiens décidés à "s'engager" face au massacre perpétré par Israël à Gaza et qu'ils n'hésitent pas à qualifier de "génocide" en espérant être "un aiguillon" pour la hiérarchie vaticane.

"Prêtres contre le génocide", c'est le nom d'un nouveau réseau né lundi 15 septembre en Italie en réaction à la mort de dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza. Il compte plus de 500 prêtres, la plupart italiens, quelques évêques et même un cardinal, celui de Rabat. Ce réseau organise une première mobilisation lundi 22 septembre à l'occasion de l'assemblée générale de l'ONU.

Ils voient le visage du Christ dans les Palestiniens qui meurent à Gaza et face à cela, ils ne peuvent pas rester neutres. "Il faut s'engager, nous ne pouvons pas rester dans nos sacristies comme si rien ne se passait en dehors de notre église", soutient le père Piero Rossini, porte-parole du réseau. S'engager, y compris avec le mot "génocide" qui déclenche la polémique. "Il y a une intention claire d'éradiquer la population palestinienne et d'occuper sa terre", juge le père Rossini.

Un soutien "officieux" de Rome

Le mouvement se présente comme émanant de la base. Les plus de 500 prêtres réunis en quelques jours estiment représenter les communautés qu'ils accompagnent au quotidien. Pas de soutien officiel de Rome, même si les animateurs du réseau citent le très influent cardinal Matteo Zuppi, à la tête de l'église italienne, comme un soutien officieux.


"Nous comprenons que la diplomatique vaticane ait son rythme propre, mais nous pouvons être un aiguillon pour la hiérarchie." Piero Rossini à franceinfo

Si plusieurs cardinaux ont des mots de plus en plus forts et directs pour dénoncer ce qui se passe à Gaza, Léon XIV n'est pas allé aussi loin que François qui s'était ouvertement interrogé sur l'existence d'un génocide.



https://www.franceinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/nous-ne-pouvons-pas-rester-dans-nos-sacristies-comme-si-rien-ne-se-passait-dehors-500-pretres-italiens-s-engagent-contre-le-genocide-a-gaza_7495522.html


lundi 29 septembre 2025

Le réalisme spirituel en islam



Sur le réseau social X circule la publication suivante :

- Dis Grok, si tu devais choisir une religion monothéiste, laquelle choisirais-tu et pourquoi ?

Réponse de Grok (l'Intelligence Artificielle de X) :

- En tant qu'IA sans croyances personnelles, je n'en choisirais aucune. Mais si je devais en sélectionner une hypothétiquement, ce serait l'islam, pour son héritage historique en sciences et en quête de connaissance, qui s'aligne avec la mission de x-AI d'explorer l'univers. Et toi ?

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Le réalisme spirituel en islam


La question de l’âme est probablement l’une des plus anciennes auxquelles la philosophie a essayé de répondre. Les modernes l’ont peu à peu évacuée au point d’en faire un mot honteux de la philosophie occidentale. Du latin anima, le souffle, elle est d’après Platon « ce qui se meut soi-même ». Ses définitions sont multiples car elle relève d’une réalité subtile. La philosophie islamique, plus particulièrement dans le monde perse, a placé l’âme en position d’intermédiaire indispensable dans la relation entre le corps et l’esprit, au point d’en faire un monde constitué de « matière spirituelle ».

Tout être jeté sur terre dans la forme humaine cherche à comprendre le monde dans lequel il existe. C’est le propre de l’homme que de chercher, c’est ce qui constitue sa nature. Certains chercheront ce qui est lumineux, l’être, d’autres se tourneront vers ce qui est ténébreux, le non-être. Mais il y a aussi ceux, nombreux, qui abandonnent cette faculté de chercher, ce qui les place de fait dans la deuxième catégorie puisqu’ils délaissent ainsi l’élément constitutif de leur être, à savoir « être à la recherche de ». Dans un monde anti-traditionnel, c’est-à-dire présentement le nôtre, dans lequel la métaphysique est incomprise et la gnose traitée vulgairement, il est essentiel de définir les termes qui permettent sinon de comprendre, au moins d’appréhender les bases de ce qui constitue le réel au sens plein.

Étymologiquement, le mot français réel dérive du latin res, c’est-à-dire la chose, la chose concrète. Lorsque l’on parle du retour du réel par exemple, on a à l’esprit le fait que la force concrète des choses qui nous entourent s’impose et l’emporte sur les idées que l’homme projette sur le monde. Le réel, c’est donc, dans le langage commun, l’ensemble des choses qui disposent d’un substrat et que l’on peut percevoir par les facultés sensibles sans pour autant que l’absence de perception ne leur retire leur réalité. Les choses du réel ont une existence autonome et objective. Cette définition a été ébranlée en Occident au début du XXe siècle avec la phénoménologie d’Edmund Husserl (1859-1938) qui invite à suspendre le jugement sur le monde (épochè) afin de se concentrer sur le phénomène, c’est-à-dire la manière dont les choses apparaissent à la conscience humaine. Ce qui permet de comprendre le rapport de l’homme au monde, d’après Husserl, c’est l’expérience vécue. Or, il n’est pas nécessaire de se pencher longtemps sur la psyché humaine pour constater que l’homme ne pense ni n’agit qu’en fonction de la seule réalité objective. On trouve, dans la philosophie islamique, l’idée d’un « réalisme spirituel » dont la profondeur a été remarquablement décrite dans l’œuvre monumentale d’Henry Corbin.

I- La phénoménologie

Henry Corbin, né à Paris en 1903 et mort en 1978, fut un pionnier en Occident des recherches sur l’islam iranien. Maîtrisant plusieurs langues, et notamment le perse, il traduisit de nombreux traités philosophiques qui demeuraient jusque-là inconnus des Occidentaux. En 1954, il succède à Louis Massignon, qui fut son maître, comme directeur d’études à la section des sciences religieuses de l’EPHE. Sous l’influence de Massignon, Corbin découvrit l’œuvre de Sohrawardi (1155-1191), philosophe et mystique persan, et traduisit l’un de ses traités en 1933. C’est la lecture de cet auteur prolifique qui ouvrit de nombreuses portes à Henry Corbin. En 1934, il rencontre Martin Heidegger (1889-1976) à Fribourg. Un échange se met en place entre les deux hommes sur les possibilités de traduire l’œuvre de Heidegger en français. C’est chose faite en 1938 sous la forme d’un mélange de plusieurs textes du phénoménologue allemand, intitulé Qu’est-ce que la métaphysique ?. Corbin fut marqué par cette rencontre et par les perspectives que pouvait ouvrir la phénoménologie dans le cadre de ses recherches sur la gnose islamique.

Avant d’aller plus loin, il faut préciser un point fondamental : le sens du mot gnose. Il est vraiment déplorable que la gnose soit associée au dualisme. En réalité, rien n’est plus éloigné de la gnose qu’une vision dualiste du monde. Il suffit pour s’en convaincre de lire (ou relire) le chapitre sur le Démiurge dans lequel René Guénon explique par la métaphysique – c’est-à-dire par la connaissance pure – pourquoi l’opposition entre le bien et le mal n’a aucun sens du point de vue du Principe [1]. Il faut comprendre par exemple que, même si rien ne semble plus opposé que l’être et le non-être, le premier est contenu dans le second. La gnose, c’est la « science intégrale », ce qui permet justement de dépasser la multiplicité et le dualisme et de résoudre les oppositions dans l’unicité du Verbe divin. Aussi, si l’on veut à tout prix nommer des courants religieux par l’appellation « historique » de gnostique, il est indispensable de préciser qu’il s’agit d’un dévoiement complet du terme gnose, puisque, au final, faire injustice à ce mot et en mépriser la signification profonde, c’est adopter l’attitude d’un agnostique.

Ce rappel est indispensable si l’on veut comprendre ce dont Corbin parle lorsqu’il traite de la gnose islamique. La nécessité de la connaissance est le fondement de l’islam : la période qui précède la révélation coranique est appelée la jâhilîya, tiré du mot jahl (ج ْهل) qui désigne l’ignorance humaine. Nous avons également déjà évoqué l’importance cruciale du terme ‘Aql en arabe.

Pour avoir accès à cette gnose, Henry Corbin a eu recours à la méthode phénoménologique. Heidegger considérait que ce qui est inscrit dans l’être, ce qui correspond le plus à sa nature, c’est le comprendre. Pour Corbin, le mode de comprendre modifie le mode d’être. « Tout le comportement intérieur du croyant dérive de son comprendre, la situation vécue est essentiellement une situation herméneutique, c’est-à- dire la situation où pour le croyant éclot le sens vrai, lequel du même coup rend son existence vraie. » [2] Ainsi se fait jour une différence fondamentale entre la philosophie occidentale et la philosophie orientale : tandis que la première vise à « engager les hommes dans une présence à ce monde, la seconde cherche à les sauver de ce monde » [3]. Dans le Dasein de Heidegger, cet « être là » qui caractérise le mode d’être particulier de l’être humain, Corbin voit le Da qui définit sa présence au monde comme un « îlot en perdition » qui correspond à l’Exil occidental que l’on trouve chez Sohrawardi [4]. D’où la nécessité en islam du ta’wil, une herméneutique qui permet de reconduire le sens littéral et manifesté à son sens caché. L’un des passages coraniques qui constitue une porte pour le ta’wil, c’est la rencontre de Moïse avec un personnage « à qui Dieu avait enseigné une science » (sourate La Caverne, XVIII verset 60) que les commentateurs musulmans désignent comme étant Khidr, le verdoyant, dont l’origine échappe au récit historique, mais que l’on retrouve dans les traditions islamiques et non islamiques. Son rôle est d’initier le prophète Moïse au ta’wil. Pour trouver celui qui sera son guide, Moïse doit se rendre « au confluent des deux mers », c’est-à-dire, d’après Ibn ’Arabi (1165-1240), là où se rencontrent la connaissance exotérique et la connaissance ésotérique. Pour parvenir à cette herméneutique, Corbin donne sa propre définition de la phénoménologie : « Le Logos du phénomène, la phénoménologie, c’est donc dire le caché, l’invisible présent sous le visible. C’est laisser se montrer le phénomène tel qu’il se montre au sujet et à qui il se montre. » [5]

Corbin fut donc amené à définir les contours d’un monde décrit par les philosophes islamiques : un monde qui n’est ni celui du sensible, ni celui de l’intelligible. Un inter-monde, un monde intermédiaire.

II : Le monde imaginal

Dans "Le Démiurge", René Guénon explique que « l’homme peut, dès son existence terrestre, s’affranchir du domaine du Démiurge ou du monde hylique, et que cet affranchissement s’opère par la Gnose, c’est-à-dire la Connaissance intégrale [...] D’autre part, [...] les différents mondes, ou, suivant l’expression généralement admise, les divers plans de l’univers, ne sont point des lieux ou des régions, mais des modalités de l’existence ou des états d’être. Ceci permet de comprendre comment un homme vivant sur la terre peut appartenir en réalité, non plus au monde hylique, mais au monde psychique ou même au monde pneumatique » [6].

Ces trois mondes correspondent respectivement au corps, à l’âme et à l’esprit. Comme nous l’avons déjà expliqué dans un article précédent, l’Église chrétienne a condamné, dès le IVe concile de Constantinople en 863, la conception trichotomique de l’Homme (corps-âme-esprit) au profit d’une vision dichotomique (corps-esprit). Nombreux sont les gnosticismes qui ont fini par interdire la gnose. De ce point de vue, le dogme est incontestablement le tombeau de la connaissance.

Aussi, le monde de l’âme est un continent largement inexploré en Occident. Lorsque Henry Corbin voulut traduire les travaux de Sohrawardi, d’Ibn ‘Arabi et plus tard de Molla Sadra Shirazi, il fut confronté à la difficulté de trouver, dans la langue française, un terme qui puisse définir le monde intermédiaire dont traitent tous ces auteurs : un monde où les corps se spiritualisent et les esprits se corporifient, le monde des images en suspens. Voulant absolument éviter le terme d’imaginaire, qui conduirait à considérer ce monde comme une construction fantaisiste et donc irréelle, il forgea le terme « imaginal » à partir du latin imaginalis, lui-même tiré de la racine imago, et qui désigne le figuratif, c’est-à-dire ce qui « représente de manière symbolique ». Le mot grec le plus proche d’imaginalis, c’est icône, comme l’explique Corbin.



Ce monde imaginal permet le réalisme spirituel. Ce n’est pas le monde de l’incarnation, ni celui des idées pures de Platon. C’est le lieu des théophanies. Les philosophes musulmans utilisent l’image du miroir pour en illustrer le mode de manifestation : l’image qui se reflète dans le miroir ne prend pas chair dans celui-ci, elle y trouve une station, un lieu de manifestation. Notons d’ailleurs que l’homme ne peut contempler sa propre face en dehors du reflet, c’est-à-dire par le biais d’une médiation (que ce soit l’eau, le miroir, la photographie, la vidéo…) ou dans le rêve. Dans le monde imaginal, l’homme voit des images de ce qu’il est, à un degré d’être particulier.

C’est dans ce monde que se déroulent les récits visionnaires, le voyage nocturne du Prophète sur la monture al Bouraq. Ce monde a plusieurs noms : le Barzakh, le Malakût, Alam al Mithâl (c’est de ce dernier terme que la traduction de monde imaginal est la plus proche). Si le monde sensible est perceptible grâce aux sens et le monde intelligible par l’intellect (le ‘Aql en arabe sans lequel, comme le précise un hadith, on ne peut prétendre avoir de religion), c’est la puissance imaginative qui permet de percevoir le monde imaginal et de s’y mouvoir.

Pour mieux comprendre comment ce monde a été défini par les philosophes musulmans, il faut, à grands traits, faire un rappel des bases philosophiques sur lesquelles ils s’appuient. Dans l’opposition fondamentale qui sépare Platon d’Aristote, il y a la question de l’âme. Platon voit l’âme comme séparée du corps, autonome par rapport à celui-ci, puisqu’elle appartient au monde des Idées. Le corps est une contrainte dont l’âme doit se libérer pour retrouver sa patrie d’origine. Chez Aristote, le corps et l’âme constituent ensemble l’être humain. Le corps est la matière (hylé - ὕλη) de l’homme et l’âme est sa forme (morphê – μορφή). Il n’y a donc pas de préexistence de l’âme chez Aristote. Cette différence dans la définition de l’âme se retrouve chez Avicenne (Ibn Sina 980-1037) qui est un platonicien et Averroès (Ibn Rushd 1126-1198), commentateur d’Aristote. Henry Corbin a parfaitement montré comment le sort de l’avicennisme latin a contribué à ce que les Occidentaux considèrent que la philosophie islamique avait trouvé son apogée et sa fin avec Averroès [7].

Pour comprendre ce qu’Averroès reprochait à la vision d’Avicenne, il faut préciser que celle-ci repose sur une double hiérarchie : dix intelligences ou Angeli intellectuales dont procèdent les âmes célestes (Angeli caelestes). Ces âmes possèdent l’imagination à l’état pur et leur désir de retourner à l’intelligence dont elles procèdent produit les révolutions cosmiques puisque « toute âme soupire après son corps ». Le monde de l’âme, c’est le Malakût, le monde imaginal. L’âme est ainsi un intermédiaire entre le corps céleste (ou orbe céleste) et la pure intelligence. Elle constitue le moteur ou l’énergie qui meut le corps céleste dans un mouvement circulaire, comme une « aspiration d’amour toujours inassouvie ». Pour Averroès, donner le nom d’âme à cette énergie motrice relève de la métaphore. Il rejette par ailleurs l’idée d’une imagination indépendante des sens corporels. Or, les philosophes du monde islamique, et perse en particulier, sans être totalement platoniciens, ont développé des systèmes de pensée dans lesquels l’âme est immatérielle et survit au corps physique. Chez Sohrawardi, qui cherche à concilier l’islam et le zoroastrisme, l’âme est illuminée par la Lumière divine (Xvarnah dans la religion de Zoroastre) et il postule des intensifications et des dégradations de la lumière, impliquant de fait des degrés de l’être. Ce point est important car les platoniciens de Perse suivent principalement la métaphysique de l’essence, c’est-à-dire que la priorité est donnée à la quiddité de l’être. Molla Sadra Shirazi, (deuxième moitié du XVIe s.-première moitié du XVIIe s.), grand philosophe de la période safavide, opère une révolution en abandonnant la métaphysique de l’essence pour donner la priorité à l’exister. En effet, il considère que « l’existence n’est pas une chose qui vient s’ajouter à l’être, son acte d’être ce qu’elle est constitue son acte d’exister ». [8]

Si, pour Molla Sadra, l’être est unique en son essence, chacun de ses actes d’exister détermine son essence : ainsi, les « essensifications » de l’être se font à des degrés différents, soit par des exhaussements, soit par des dégradations de l’être qui donnent lieu à une diversification infinie. Il y a une échelle de l’être sur laquelle on peut être plus ou moins homme en fonction de l’intensité de son acte d’exister. Il n’y a donc plus de royaume des « essences immuables ». Sans aller trop loin dans les développements complexes de la pensée de Molla Sadra [9], disons simplement qu’il n’y a pas, pour lui, de divorce entre l’être et l’exister, pas plus qu’il n’y a de séparation entre la pensée et l’être. D’où la réalité de « l’existence mentale » : si l’être est dans l’exister, alors chacune des « essensifications » de l’être possède l’être. Par conséquent, Sadra postule un « rapport d’analogie » entre les « essensifications » multiples quant à leur exister. Ce qui n’existe que dans la pensée possède bel et bien l’exister.

Grâce à son échelle de l’être, Molla Sadra peut attester des Idées archétypes de Platon et du monde imaginal. Ce monde se situe à un degré de l’être qui lui est propre. Sadra affirme que l’Imagination est immatérielle, séparée de l’organe cérébral et physique. Dans le monde imaginal, les formes ont leur existence dans la pensée. Or Dieu a créé l’âme humaine comme une image de Lui-même : aussi, l’âme possède en soi-même un « monde qui lui est propre ». Il existe donc, pour le natif de Shiraz, une « matière spirituelle » propre à ce monde imaginal que Henry Corbin rapproche de la « spissitudo spiritualis » (densité spirituelle) de Henry More (1614-1687), l’un des plus éminents représentants de l’école des Platoniciens de Cambridge. Il existe en effet des traces de ce monde imaginal en occident et Corbin en a trouvé chez des auteurs comme Maître Eckhart (v. 1260-1328), Jacob Böhme (1575-1624) ou encore Emanuel Swedenborg (1688-1772). C’est à partir de l’une de ces traces que nous allons tenter de donner une image concrète de ce monde subtil.

III. Le Mont Analogue

Pour illustrer la réalité de l’imaginal, nous allons prendre un exemple chez un auteur français, qui eut l’intuition de cet intermonde, bien que la postérité de son œuvre, en particulier dans les cercles New Age de la contre-culture américaine des années 1960, n’ait trop souvent vu dans son ouvrage majeur que l’attrait d’un récit psychédélique. En réalité, Le Mont Analogue de René Daumal (1908-1944) est un authentique récit initiatique qui décrit avec un langage symbolique les caractéristiques de ce que l’on peut voir comme un monde intermédiaire et que l’auteur avait cherché toute sa vie. Le sous-titre de l’œuvre est éloquent : Roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques.

Nous avons déjà insisté sur la différence fondamentale entre le langage métaphorique et le langage symbolique. Selon que l’on lise Le Mont Analogue par le prisme de l’un ou l’autre de ces langages, la portée en est totalement modifiée. En effet, ce qui se produit dans le monde imaginal ne relève ni du mythe, ni de l’historicité.

Pour synthétiser cette histoire et en donner les éléments symboliques, il faut en présenter les traits saillants. L’histoire commence avec une lettre que reçoit le narrateur de la part d’un certain Pierre Sogol (anagramme de Logos) qui l’invite à se lancer avec lui dans une expédition vers le mont Analogue. Le narrateur avait en effet publié un article sur le sujet quelques mois avant de recevoir la missive, et dans lequel il définissait l’échelle de la « montagne symbolique par excellence […] par son inaccessibilité par les moyens humains ordinaires ». Toutes les montagnes du monde ayant été explorées, elles ont perdu de fait leur caractère inaccessible et leur fonction d’union entre la terre et le ciel. Lorsque l’on songe à ce qu’est devenu l’Everest aujourd’hui, on peut effectivement y voir une image de la détresse spirituelle de l’homme moderne. La montagne est un symbole du divin dans de nombreuses traditions. En islam, la montagne de Qâf est le lieu de rencontre entre la terre et le ciel. Chez Sohrawardi, l’oiseau Simorgh guide le voyageur spirituel vers cette montagne qui est d’abord un obstacle tant que l’on reste dans un état de perception corporel, puis devient un monde intermédiaire où les âmes peuvent être illuminées de la lumière divine.

Pierre Sogol et le narrateur (Théodore) constituent une équipe de douze personnes prêtent à se lancer à la recherche du mont Analogue. On peut y voir un écho à L’Ami de Dieu de l’Oberland d’après le récit de Rulman Merswin (1307-1382) qui, dans Le Livre des neuf rochers, décrit sa rencontre avec un personnage mystérieux appelé l’Ami de Dieu. Merswin fonda la communauté de l’Île-verte à Strasbourg à l’endroit où se trouvait la commanderie de Saint-Jean. Cette communauté rassemblait des chevaliers johannites qui prirent le nom d’Amis de Dieu (Gottesfreunde). Corbin y fait référence dans ses travaux. Dans son récit, Merswin évoque la fondation par « l’Ami de Dieu » de la communauté de l’Oberland – le pays d’en haut – qui rassemble douze « amis de Dieu ».

Parmi les nombreux noms du monde imaginal, il y a le « huitième climat », en référence aux sept climats de la géographie de Ptolémée. Il s’agit donc d’un monde qui échappe à la géographie physique. Pour pénétrer dans le « continent invisible », les voyageurs à la recherche du mont Analogue devaient entrer par l’ouest : « Les civilisations, dans leur mouvement naturel de dégénérescence, se meuvent de l’est à l’ouest. Pour revenir aux sources, on devait aller en sens inverse. » [10] Il faut ainsi échapper à l’Exil occidental et revenir à l’Orient symbolique. Une fois entrés, les voyageurs découvrent une société organisée, avec sa propre monnaie, le péradam, et hiérarchisée – les ordres viennent « d’en haut », c’est-à-dire des guides de haute-montagne. Sans péradam, un cristal courbe, les voyageurs doivent demeurer sur le rivage et ne peuvent entreprendre l’ascension du mont Analogue, puisque rien d’autre n’a de valeur pour les guides. Le roman se termine sur le récit de l’ascension vers les hauteurs éthérées du mont Analogue. Commencée en juillet 1939, l’œuvre est demeurée inachevée. Daumal meurt en mai 1944, à l’âge de 36 ans. Ses expériences avec le tétrachlorométhane qu’il utilisait pour vivre des états similaires aux expériences de mort imminente ont probablement eu raison de sa santé. Mais l’incomplétude du roman n’enlève rien à son caractère initiatique, bien au contraire. Daumal a eu l’intuition du monde imaginal dont il a tenté de représenter le cheminement qui mène jusqu’à son seuil, le découragement, les doutes, et la raison qui peuvent pousser à l’abandon de la quête, sous la parure des excuses les plus diverses. Il y a dans ce récit une illustration intéressante de ce que peut être le ‘Aql, cette intuition de l’intellect, qui se distingue alors nettement de la raison. En effet, le roman fait un état des lieux de la conscience humaine du divin : toutes les montagnes ont été explorées et personne n’y a vu Dieu. La raison amène la majorité des hommes à la même conclusion : Dieu n’est sur aucune montagne, pas plus que dans aucun autre lieu. Cela se termine aujourd’hui par le constat qu’il n’y a pas de Dieu.

Mais l’intellect spirituel, le ‘Aql, mène à tout autre chose. Si toutes les montagnes ont été explorées et que personne n’y a vu Dieu, alors une seule conclusion s’impose : on n’a pas cherché sur la bonne montagne. La reconnaissance du monde imaginal procède de la même intuition.

Ce qui est intéressant de surcroît dans Le Mont Analogue, c’est que Daumal voit cette quête à l’intérieur d’une compagnie, d’une fraternité liée par la même intuition profonde. En quelque sorte, une alliance des cœurs orientés.

* * *

Le monde imaginal n’est pas une fin en soi, c’est un monde intermédiaire. Chez les théosophes musulmans, ce monde se constitue dès la vie présente, dans le monde concret et dense, car le monde imaginal peut être un paradis ou un enfer. Cela dépend de l’attrait soit pour les formes lumineuses, soit pour les formes ténébreuses et la recherche de la connaissance fait ainsi varier l’intensité de l’existence, comme une lumière plus ou moins forte. Il est le lieu des expériences visionnaires. Or, le monde moderne ignore ces degrés de l’être et l’intensité du réel : on nous propose aujourd’hui de la « réalité virtuelle », et même de la « réalité augmentée » [sic !] en superposant, sans jamais sortir du monde sensible, une épaisse couche d’images et d’imaginaire généré par un système binaire basé sur la répétition indéfinie de 0 et de 1. Certains peuvent y trouver un lieu d’évasion ou de refuge. Mais cela ne comble jamais l’absence fondamentale. Dans Le Mont Analogue, Daumal évoque ceux qui ont renoncé aux connaissances supérieures et ne peuvent s’exposer à la lumière : ce sont les « hommes creux » qui se nourrissent du vide et de la « forme des cadavres ». Car le sentiment d’absence qui prévaut dans nos sociétés a été détourné : dans une société de consommation et d’assouvissement des désirs et des instincts, il y a ce que l’on a et ce que l’on n’a pas. Or, le véritable désir n’est pas celui de l’avoir mais celui de l’être. L’absence fondamentale qui raisonne dans le monde de « l’Exil occidental », c’est le sentiment ou l’intuition de ce que l’on n’est pas. Ce désir de l’âme est étouffé sans cesse, il est inexisté, si l’on veut se permettre ce néologisme, par un monde qui nie tout ce qui lui est supérieur. Un monde sans âme.

Hyacinthe Maringot.



dimanche 28 septembre 2025

Dharma




Notions Fondamentales du Dharma



par Patrick



Dans sa véritable signification, le terme « Brâhmane » ne signifie pas celui qui appartient à la première caste dans le système hindou des castes, mais le Sage accompli, l'Eveillé total, l'Arhat, celui qui a abandonné tout attachement aux « trois mondes des phénomènes, kâma-loka, rûpa-loka et arûpa-loka », ce que devait être le Brâhmane de caste avant sa dégénérescence du temps du Bouddha, temps qui ressemblait déjà au notre actuel. Le clan du Bouddha fut exterminé par le roi du Kosala, Virudaka, au Népal de l'époque.

Et l'on peut ainsi rappeler la dégénérescence des systèmes religieux actuels qui font encore de grands gestes, de grandes vagues, torturent leurs adversaires, les fusillent, instaurent des modifications sociales en s'associant aux politiques avides, font de « justes » guerres, des milliers ou des millions de morts et d'éclopés, des destructions sans nombre. Aussi, en tant que « chefs religieux », ils imposent leurs dogmes par le fer, le feu et le sang, multipliant les souffrances, et tout cela pour sauver les autres ?! …

A l'époque du Bouddha, si les rites et les cérémonies sont préservés et pratiqués avec une certaine rigueur par les brâhmanes, l'enseignement qui devait toujours les accompagner est alors et déjà vidé de son contenu métaphysique. Le Bouddha le comprit.

Cette dégénérescence s'infiltra alors ensuite au sein des « bouddhismes » au cours des siècles et les actuels chercheurs sont de plus en plus égarés car confrontés à cette difficulté de trouver un instructeur authentique du Dharma, instructeur qui soit capable de leur transmettre justement et au minimum la profondeur du « Noble Sentier Octuple ». Nous ne parlerons pas ici de la « chaîne des origines interdépendantes » que peu de bouddhistes connaissent, ni des « 37 auxiliaires de la Bodhi » indispensables pour comprendre, sinon on ne comprend rien au Dharma.

Si chacun peut savoir que ce Sentier Octuple est symbolisé par une Roue à 8 Branches sur le drapeau Indien, jusque-là tout va bien en tant que rappel. Mais retrouver cette roue en un insigne cousu sur un béret militaire est étrange, une aberration, une profanation, une folie même indiquant une inversion des valeurs, et le fait que l'enseignement n'est pas assimilé, intégré.

Qui comprend donc la profondeur de ce Sentier, Dharmacakra, et l'applique à sa vie quotidienne ?

Ce Sentier, en trois parties en huit membres, est le remède, « Quatrième Noble Vérité » (au-delà des vérités relatives), le traitement de la maladie de l'errance, samsâra. Sa formulation demande l'éclairage d'un instructeur éveillé par l'intuition métaphysique, Prajñâ (Pro-gnosis en grec).

Prajñâ : Vue juste et Intention juste

Sîla : Parole juste, Action juste, Moyens d'existence justes

Samâdhi : Effort juste, Attention vigilante juste, Concentration-composition-synthèse juste.

Un professeur du bouddhisme à l'Inalco dira récemment que, selon lui, les « varna », les castes, étaient le meilleur système social qu'il connaissait, et qu'il n'y en avait pas de meilleurs ! Cette affirmation bien réductrice révèle une confusion par ignorance de l'Intuition métaphysique, la Connaissance métaphysique ou transcendante qui est au-delà de l'intellect limité.

Le Chapitre XXVI du Dhammapada : Versets sur le Brâhmane, donne une Vue claire métaphysique, subtile, du véritable statut de Brâhmane « hors caste ».

L'Eveil, par la BODHI, étant supra-mondain, dépasse la notion des quatre castes qui sont uniquement mondaines dans le bourbier du kâma-loka, le monde des désirs jamais satisfaits.

Le Bouddha était a-varna, « hors les castes », même s'il naquit dans la seconde des castes, celle des guerriers. La notion de guerrier se rapporte ici à soi-même, à cela qu'il faut abandonner. Si l'ennemi est extérieur il est surtout intérieur et en contact avec l'illusoire de l'extérieur. Le Bouddha quitta le monde à 29 ans pour une ascèse. Dès que vous quittez le monde pour une ascèse (s'exercer), bien entendu guidée par la BODHI au sein du Dharma atemporel, vous sortez de tous les systèmes, de toute caste, de tout bouddhisme sauf si dans ce bouddhisme le plus souvent ethnique, le guide instructeur est lui aussi par simplification et lucidité sorti des systèmes et capable de transmettre les fondamentaux. A ce titre, même des chercheurs de castes inférieures peuvent ainsi atteindre l'éveil total par la Bodhi, par conséquent si leur Prajñâ est éveillée. L'histoire ne manque pas d'exemples de parias éveillés, ce qui est rassurant.

A l'origine, le Bouddhisme est vigoureux, Porte-greffe, mais les « greffons » sont de plus en plus éloignés de la nature du Porte-greffe (Dharma atemporel) par dégradation métaphysique, par occultation des résultats subtils, par difficulté d'atteindre des états de Connaissance transcendante élevés. Quand on parle d'écoles bouddhiques, il s'agit bien de « greffons » apparus au cours des temps, poussés sur le tronc du Dharma, le Porte-greffe. Ces greffons ont eu pour raison d'être les différentes conformations du cœur psychologique, les uns forts et capables de s'en tenir à la Tradition Primordiale, les autres ayant besoin des soutiens du phénoménal subtil, des rites, des cérémonies, des apparats religieux, des mythes, parfois du rappel d'imprégnations religieuses passées, donc de béquilles toujours fragiles.

Le Dharma, en toute tolérance, accepte d'intégrer, mais « scolastiquement », les « traditions » des pays où il s'implante, pourvu que les éléments (les fondamentaux) de ces traditions soient en accord ou à peu près avec la Tradition Primordiale.

Pour nous, le seul garde-fou est de s'en tenir à la Tradition Primordiale sans exclure une compréhension de « sympathie » pour toutes les écoles.

Nous terminerons en rappelant que le Dharma atemporel, retrouvé et transmis par le Bouddha, n'est ni une religion, ni une philosophie au sens occidental. La Prajñâ est d'abord noétique avant qu'elle ne devienne anoétique, dans ce cas indicible, inexprimable par les mots. Voilà la difficulté.





samedi 27 septembre 2025

LE MYTHE AGRESSIF DE SHAMBHALA



Le 5 juillet 1942, Roosevelt renomma Camp David, la résidence de campagne des présidents des USA, en "Shangri-La", nom tibétain de Shambhala, en référence au mystérieux royaume de l'Himalaya.

"Depuis 1945 les USA ont fait 52 guerres, ils ont déclenché une guerre directement ou indirectement 52 fois depuis 1945. Vous vous rendez compte, c'est le record du monde, et de très loin jamais aucun pays n'a fait autant de guerres en si peu de temps." Alain Juillet.





LE MYTHE AGRESSIF DE SHAMBHALA


Le rôle de l’ADI BOUDDHA ou plutôt du Chakravartin n’est pas seulement discuté en termes généraux dans le Kalachakra Tantra, plutôt, dans le « mythe de Shambhala » le Tantra du Temps présente des objectifs politiques concrets. Dans ce mythe sont faites des affirmations concernant l’autorité du monarque mondial, l’établissement et l’administration de son Etat, l’organisation de son armée, et un plan stratégique pour la conquête de la planète. Mais considérons d’abord comment exactement le mythe de Shambhala peut être compris.

D’après la légende, le Bouddha historique, Shakyamuni, enseigna au roi de Shambhala, Suchandra, le Kalachakra Mulatantra, et l’initia à la doctrine secrète. Le texte original contenait 12.000 vers. Il fut plus tard perdu, mais une version abrégée survécut. Si nous utilisons comme base le calendrier quelque peu arbitraire du Tantra du Temps, la rencontre entre Shakyamuni et Suchandra eut lieu en l’année 878 av. JC. Le lieu de l’instruction fut Dhanyakataka près du Pic du Vautour près de Rajagriha (Rajgir) en Inde du Sud. Après que Suchandra lui ait demandé de l’instruire, le Bouddha lui-même prit la forme de Kalachakra et enseigna depuis un Trône de Lion entouré de nombreux boddhisattvas et dieux.

Suchandra régnait en tant que roi de Shambhala, un royaume légendaire quelque part au nord de l’Inde. Il ne voyageait pas seul pour être initié à Dhanyakataka, mais était accompagné par une suite de 96 généraux, vices-rois de provinces et gouverneurs. Après l’initiation il ramena l’enseignement du tantra avec lui dans son empire (Shambhala) et en fit la religion d’Etat ; d’après d’autres récits, cependant, cela n’arriva qu’après sept générations.

Suchandra retranscrit le Kalachakra Mulatantra de mémoire et lui ajouta un grand nombre de commentaires détaillés. L’un de ses successeurs (Manjushrikirti) écrivit une version abrégée, connue sous le nom de Kalachakra Laghutantra, un résumé du sermon originel. Ce texte de 1.000 vers a survécu en totalité et sert encore aujourd’hui de texte central. Le successeur de Manjushrikirti, le roi Pundarika, composa un commentaire détaillé sur le Laghutantra, sous le nom de Vimalaprapha (« lumière immaculée »). Ces deux textes (le Kalachakra Laghutantra and the Vimalaprapha) furent ramenés en Inde au dixième siècle par le Maha Siddha Tilopa, et de là ils atteignirent le Tibet, le « Pays des Neiges », une centaine d’années plus tard. Mais seuls des fragments du texte originel, le Kalachakra Mulatantra, ont survécu. Le fragment le plus important est appelé Sekkodesha et a été commenté par le Maha Siddha Naropa.

Géographie du royaume de Shambhala

Le royaume de Shambhala, dans lequel l’enseignement du Kalachakra est pratiqué en tant que religion d’Etat, est entouré d’un grand secret, tout comme son premier souverain, Suchandra. Car celui-ci est aussi considéré comme une incarnation du Boddhisattva Vajrapani, le « Seigneur de la Connaissance Occulte ». Pendant des siècles les lamas tibétains ont délibérément mythifié le pays merveilleux, c’est-à-dire qu’ils ont laissé la question de son existence ou de sa non-existence si ouverte que l’on peut dire paradoxalement qu’il existe et qu’il n’existe pas. Comme c’est un empire spirituel, ses frontières ne peuvent être franchies que par ceux qui ont été initiés aux enseignements secrets du Kalachakra Tantra. Shambhala étant invisible aux yeux des mortels ordinaires, pendant des siècles les plus folles spéculations ont circulé sur sa localisation géographique. En termes « concrets », tout ce qu’on sait est qu’il doit se trouver au nord de l’Inde, « au-delà de la rivière Sitha ». Mais personne n’a encore trouvé le nom de cette rivière sur une carte. Ainsi, au cours des siècles, les nombreux chercheurs de Shambhala ont nommé toutes les régions concevables, du Cachemire au Pôle Nord et tout ce qui se trouve entre les deux.

L’opinion la plus répandue dans les études tend à rechercher la région originelle dans ce qui est aujourd’hui le désert du bassin du Tarim (Tarim Pendi). De nombreux lamas affirment que le royaume existe encore à cet endroit, mais qu’il est caché aux yeux des curieux par un rideau magique et qu’il est bien gardé. De fait, les éléments syncrétistes qu’on peut trouver dans le Kalachakra Tantra parlent en faveur de l’idée que le texte est un produit de l’ancienne Route de la Soie traversée par de nombreuses cultures, qui passe à travers le bassin du Tarim. L’énorme chaîne de montagnes qui entoure le plateau selon un quasi-cercle concorde aussi avec la géographie de Shambhala.

De manière typique, la carte mythique de Shambhala, dont il existe de nombreuses reproductions, ressemble à un mandala. Il a la forme d’une roue avec huit rayons, ou plutôt il correspond à un lotus avec huit pétales. Chacun des pétales forme une région administrative. Un gouverneur y règne comme fonctionnaire le plus élevé. Il est le vice-roi de pas moins de 120 millions de villages qu’on peut trouver sur chaque « pétale de lotus ». Shambhala possède ainsi un total de 960 millions d’établissements. Tout le pays est entouré par un anneau de montagnes enneigées à peine franchissables.

Au centre de l’anneau de montagnes se trouve la capitale du pays, nommée Kalapa. La nuit, la ville de lumière est illuminée comme en plein jour, de sorte que la lune ne peut plus être vue. Là, le roi de Shambhala vit dans un palais fait de tous les joyaux et diamants concevables. L’architecture est basée sur les lois des cieux. Il y a un temple du soleil et un temple de la lune, une réplique du zodiaque et des orbites astrales. Un peu au sud du palais, le visiteur trouve un parc merveilleux. C’est là que Suchandra ordonna de construire le temple de Kalachakra et de Vishvamata. Il est fait de cinq matériaux précieux : or, argent, turquoise, corail, et perle. Son plan de sol correspond au mandala de sable du Kalachakra.

Les rois et l’administration de Shambhala

Tous les rois de Shambhala appartiennent à une dynastie héritée. Depuis que le Bouddha historique a initié le premier régent, Suchandra, au Tantra du Temps, il y a eu deux maisons royales qui ont déterminé le destin du pays. Les sept premiers rois s’appelaient Dharmaraja (rois de la loi). Ils descendaient originellement de la même lignée qui produisit le Bouddha Shakyamuni, les Shakyas. Les 25 rois suivants de la seconde dynastie sont les « Kulikas » ou « Kalkis ». Chacun de ces souverains règne pendant exactement 100 ans. Les futurs régents sont aussi déjà connus par leur nom. Les textes ne sont pas toujours unanimes sur l’identité de celui qui règne actuellement sur le royaume. Le plus souvent c’est le roi Aniruddha qui est nommé, qui est supposé avoir pris les rênes du pouvoir en 1927 et qui devrait les rendre en 2027. Un grand spectacle attend le monde quand le 25ème roi de la dynastie Kalki prendra ses fonctions. Il s’agit du Rudra Chakrin, le Seigneur de la Roue courroucé. C’est en 2327 qu’il montera sur le trône. Nous traiterons de lui en détail.

Comme les Maha Siddhas indiens, les Kalkis ont une longue chevelure qu’ils nouent en chignon. De même, ils se parent avec des boucles d’oreille et des anneaux de bras. « Le Kalki a d’excellents ministres et généraux, et un grand nombre de reines. Il a un garde du corps, des éléphants et des meneurs d’éléphant, des chevaux, des chars et des palanquins. Sa richesse et la richesse de ses sujets, le pouvoir de ses charmes magiques, les nagas, les démons et les lutins qui le servent, la richesse offerte à lui par les centaures et la qualité de sa nourriture sont telles que même le seigneur des dieux ne peut rivaliser avec lui… Le Kalki n’a pas plus d’un ou deux héritiers, mais il a de nombreuses filles qui sont données comme dames de vajra durant les initiations tenues à la pleine lune de Caitra chaque année » (Newman, 1985, p. 57). Il semble donc qu’elles servent de mudras dans les rituels du Kalachakra.

Le souverain de Shambhala est un monarque absolu et a à sa disposition toute la puissance terrestre et spirituelle du pays. Il se trouve au sommet d’une « pyramide hiérarchique » et les fondations de sa bouddhocratie sont composées d’une armée de millions de vice-rois, gouverneurs et fonctionnaires qui mettent en œuvre les décrets du régent.

En tant que souverain spirituel, il est le représentant de l’ADI BOUDDHA, en tant que potentat « terrestre » il est un Chakravartin. Il est assis sur un trône en or, soutenu par huit lions sculptés. Dans ses mains il tient un joyau qui exauce tous ses vœux et un miroir magique dans lequel il peut tout observer et tout contrôler dans son royaume et sur terre. Rien n’échappe à son œil vigilant. Il a la capacité et le droit de regarder dans les recoins les plus profonds des âmes de ses sujets, en fait de tout le monde.

Les rôles des sexes dans le royaume de Shambhala sont typiques. Ce sont exclusivement des hommes qui exercent le pouvoir politique dans l’Etat androcentrique. Nous n’entendons parler des femmes que pour leur rôle de reine mère, porteuse de l’héritier du trône, et en tant qu’« épouses de sagesse ». Dans l’« économie tantrique » du budget de l’Etat, elles constituent un réservoir de ressources vitales, puisqu’elles fournissent la « gynergie » qui est transformée en pouvoir politique par les rites magiques sexuels officiels. A lui seul le souverain possède un million (!) de jeunes filles, « jeunes comme la lune de huit jours », qui sont disponibles pour être ses partenaires.

L’élite supérieure du pays est formée par le clergé tantrique. Les moines sont vêtus de blanc, parlent sanscrit, et sont tous initiés aux mystères du Kalachakra Tantra. La majorité d’entre eux sont considérés comme illuminés. Ensuite viennent les guerriers. Le roi est en même temps le commandant suprême d’une armée disciplinée et extrêmement puissante avec des généraux à sa tête, un puissant corps d’officiers et d’obéissants « rangs inférieurs ». Les armes de destruction les plus efficaces et les plus « modernes » sont stockées dans les vastes arsenaux de Shambhala. Cependant – comme nous le verrons plus loin – l’armée ne sera complètement mobilisée que dans trois cent ans (en 2327).

Le pouvoir totalitaire du roi de Shambhala ne s’étend pas seulement sur les habitants de son pays, mais aussi sur tous les gens de notre planète, la « terre ». Le passionné français du Kalachakra, Jean Rivière, décrit les compétences étendues des despotes bouddhistes comme suit : « En tant que maître de l’univers, empereur du monde, régent spirituel des puissants flux d’énergie subtile qui régulent l’ordre cosmique ainsi que les vies des gens, le Kulika [roi] de Shambhala dirige le développement spirituel des masses humaines qui sont nées dans le [monde] matériel lourd et aveugle » (Rivière, 1985, p. 36). [1]

Le « char solaire » des Rishis

Bien que tous ses souverains soient connus par leur nom, le royaume de Shambhala n’a pas d’histoire au sens réel. C’est pourquoi presque rien de digne d’être enregistré dans une chronique n’est arrivé durant ses nombreux siècles d’existence. Considérez par contre la chaîne d’événements chargée d’histoire dans la vie du Bouddha Shakyamuni et les nombreuses légendes qu’il a laissées derrière lui ! Mais il y a un événement qui montre que ce pays n’était pas entièrement exempt de conflit historique. Celui-ci concerne la protestation d’un groupe de pas moins de 35 millions (!) de Rishis (voyants) conduits par le sage Suryaratha (« char du soleil »).

Alors que le premier roi Kulika, Manjushrikirti, prêchait le Kalachakra Tantra à ses sujets, Suryaratha se distança de cet enseignement, et ses adeptes les Rishis se joignirent à lui. Ils préférèrent choisir le bannissement de Shambhala plutôt que de suivre la « voie du diamant » (Vajrayana). Cependant, alors qu’ils étaient partis dans la direction de l’Inde et avaient déjà traversé la frontière du royaume, Manjushrikirti plongea dans une profonde méditation, stupéfia les émigrants par magie et ordonna aux oiseaux démons de les ramener.

Cet événement concerne probablement une confrontation entre deux écoles religieuses. Les Rishis adoraient seulement le soleil. Pour cette raison ils appelaient aussi leur gourou le « char du soleil » (suryaratha). Mais le roi Kulika, en tant que maître du Kalachakra et androgyne cosmique, avait uni les deux sphères célestes en lui-même. Il était le maître du soleil et de la lune. Son exigence pour que les Rishis adoptent les enseignements du Kalachakra Tantra fut aussi promulguée une nuit de pleine lune. Manjushrikirti termina son sermon par les paroles : « Si vous souhaitez suivre ce chemin, restez ici, mais si vous ne le voulez pas, alors partez et allez ailleurs ; autrement les doctrines des barbares se répandront même à Shambhala » (Bernbaum, 1980, p. 234).

Les Rishis se décidèrent pour la dernière solution. « Comme nous voulons tous rester fidèles au char du soleil, nous ne souhaitons pas non plus abandonner notre religion et en adopter une autre », répondirent-ils (Grünwedel, 1915, p. 77). Cela entraîna l’exode déjà exposé. Mais en les faisant revenir, Manjushrikirti avait prouvé sa supériorité magique et démontré que la « voie du soleil et de la lune » est plus forte que la « pure voie du soleil ». Les Rishis lui apportèrent donc de nombreux tributs en or et se soumirent à son pouvoir et à la primauté du Kalachakra Tantra. La quinzième nuit de la lune, l’illumination leur fut accordée.

Derrière cet unique incident historique à Shambhala se cache un motif à peine remarqué de politique de pouvoir. Les voyants (les Rishis), comme leur nom l’indique, étaient clairement des brahmanes ; ils étaient membres de la caste d’élite des prêtres. Par contre, le roi-prêtre Manjushrikirti intégrait dans ses fonctions les énergies de l’élite à la fois sacerdotale et militaire. Il unissait en lui le pouvoir terrestre et le pouvoir spirituel, qui – comme nous l’avons déjà vu plus haut – sont attribués séparément au soleil (grand prêtre) et à la lune (roi guerrier) dans le domaine culturel indien. L’union des deux sphères célestes dans sa personne en fait un souverain absolu.

A cause des plans militaires du royaume de Shambhala pour le futur, que nous décrirons un peu plus loin, le roi et ses successeurs ont fortement intérêt à renforcer l’armée existante. Car Shambhala aura besoin d’une armée de millions d’hommes pour les batailles qui l’attendent, et les siècles ne comptent pas dans ce royaume mythique. C’était donc l’intérêt de Manjushrikirti d’abolir toutes les distinctions de caste dans une bouddhocratie sur-dominante militairement orientée. Le Bouddha historique est déjà supposé avoir prophétisé que le futur roi de Shambhala, « possédant la famille Vajra, deviendra Kalki en réunissant les quatre castes dans un seul clan, dans la famille Vajra, pas dans une famille de brahmanes » (Newman, 1985, p. 64). La « famille Vajra » mentionnée est clairement opposée à la caste sacerdotale dans ces paroles de Shakyamuni. Dans les diverses familles de Bouddhas aussi, elle représente celle qui est responsable des questions militaires. Même aujourd’hui en Occident, des lamas tibétains de haut rang se vantent qu’ils renaîtront en généraux (!) dans l’armée de Shambhala, c’est-à-dire qu’ils pensent transformer leur fonction spirituelle en fonction militaire.

L’intention guerrière derrière ce durcissement en-dehors des distinctions de caste devient plus évidente dans la justification donnée par Shakyamuni, selon laquelle le pays tomberait inévitablement dans les mains des « barbares » s’il ne suivait pas le bouddhisme Vajrayana. Ces barbares – comme nous le montrerons plus loin – étaient les adeptes de l’islam, contre lesquels une énorme armée de Shambhala était en cours de constitution.

Le voyage à Shambhala

Les récits de voyages écrits par les chercheurs de Shambhala sont généralement conçus de telle sorte que nous ne sachions pas s’ils concernent des expériences réelles, des rêves, des inventions, des fantasmagories ou un progrès initiatique. Il n’y a aussi aucun effort pour conserver ces distinctions. Un voyage à Shambhala réunit simplement tout cela à la fois. Ainsi les difficiles et hasardeuses aventures que les gens ont entreprises à la recherche du pays légendaire correspondent aux « diverses pratiques mystiques sur le chemin qui mène à la réalisation de la méditation tantrique dans le royaume lui-même. … Les montagnes enneigées entourant Shambhala représentent les vertus terrestres, alors que le roi au centre symbolise le pur esprit à la fin du voyage » (Bernbaum, 1980, p. 229).

Dans de telles interprétations, les voyages ont donc lieu en esprit. Mais encore une fois, ce n’est pas l’impression qu’on a lorsqu’on feuillette le Shambha la’i lam yig, le fameux récit de voyage du Troisième Panchen-lama (1738–1780). Il s’agit d’un recueil fantastique qui est manifestement rempli de données factuelles réelles, de particularités historiques et géographiques de l’Asie centrale, et qui décrit le chemin vers Shambhala.

D’après ce classique « guide de voyage », les paysages qu’un visiteur doit traverser avant d’entrer dans le pays merveilleux, et les dangereuses aventures qui doivent être vécues, font du voyage à Shambhala (qu’il soit réel ou imaginaire) un chemin d’initiation tantrique. Cela devient particulièrement clair dans la confrontation centrale avec l’élément féminin qui tout comme le Vajrayana contrôle toute la route du voyage. Le très pittoresque livre décrit à longueur de pages les rencontres avec toutes les figures femelles que nous connaissons déjà d’après le milieu tantrique. Avec une minutie littéraire, l’auteur dépeint les scènes les plus douces et les plus terribles : déesses à tête de porc ; sorcières montées sur des ours ; dakinis brandissant des crânes remplis de sang, d’entrailles, d’yeux et de cœurs humains ; jeunes filles aussi belles que des fleurs de lotus avec des seins qui donnent du nectar ; harpies ; cinq cent démones aux lèvres cuivrées ; déesses-serpent qui comme les nixes tentent d’attirer le passant au fond de l’eau ; Ekajati à un seul œil ; empoisonneuses ; sirènes ; vierges nues au corps en or ; femmes cannibales ; géantes ; douces filles Asura avec une tête de cheval ; démones du doute ; diablesses frénétiques ; guérisseuses donnant des herbes rafraîchissantes – toutes attendent la courageuse âme qui se met en route à la recherche du pays merveilleux.

Chaque rencontre avec ces créatures femelles doit être maîtrisée. Pour chaque groupe, le Panchen-lama a préparé un rituel dissuasif, apaisant ou réceptif. Certaines des femmes doivent être soigneusement évitées par le voyageur, d’autres doivent être honorées et reconnues, avec d’autres encore il faut s’unir par l’amour tantrique. Mais ici, malheur à celui qui perd le contrôle de ses émotions et de sa semence ! Alors il deviendra la victime de toutes ces « bêtes », que leur apparence soit belle ou épouvantable. Seul un parfait expert du tantra peut poursuivre sa route à travers la jungle des corps féminins.

Ainsi les sphères alternent entre l’externe et l’interne, réalité et imagination, roi du monde dans les cœurs des gens et roi du monde réel dans le désert de Gobi, Shambhala comme vie quotidienne et Shambhala comme rêve de conte de fées, et tout devient possible. Quand lors de ses voyages à travers l’Asie Centrale, le peintre russe Nicolas Roerich montra des photographies de New York à quelques nomades, ils s’écrièrent : « C’est le pays de Shambhala ! » (Roerich, 1988, p. 274).

Le « Seigneur de la Roue furieux » : l’idéologie martiale de Shambhala

En 2327 (apr. JC) – nous disent les prophéties du Kalachakra Tantra – le 25ème Kalki montera sur le trône de Shambhala. Il est connu sous le nom de Rudra Chakrin, le « Seigneur de la Roue courroucé » ou la « Fureur avec la roue ». La mission de ce souverain est de détruire les « ennemis de l’enseignement bouddhiste » dans une immense bataille eschatologique et de fonder un âge d’or. Cet espoir militant pour le futur occupe encore aujourd’hui les esprits de nombreux Tibétains et Mongols et commence à se répandre dans le monde entier. Plus loin nous examinerons plus en détail la fascination que l’archétype du « guerrier de Shambhala » exerce sur les bouddhistes occidentaux.

L’Etat de Shambhala établit une distinction claire et nette entre ami et ennemi. L’idée originelle du pacifisme bouddhiste lui est complètement étrangère. C’est pourquoi le Rudra Chakrin porte un objet symbolique martial comme insigne de sa domination, la « roue de fer » (!). Nous rappellerons que dans la vision-du-monde bouddhiste, notre univers tout entier (Chakravala) est entouré par un cercle de montagnes de fer. Nous avons interprété cette image comme un reste de « l’âge de fer » final des prophéties de l’antiquité.

Monté sur son cheval blanc, une lance à la main, le Rudra Chakrin conduira sa puissante armée au 24ème siècle. « Le Seigneur des dieux », dit-on de lui dans le Kalachakra Tantra, « avec les douze seigneurs, ira détruire les barbares » (Newman, 1987, p. 645). Son armée sera formée de « guerriers exceptionnellement sauvages » équipés d’« armes tranchantes ». Cent mille éléphants de guerre et des millions de chevaux des montagnes, plus rapides que le vent, serviront de montures à ses soldats. Les dieux indiens rejoindront ensuite les douze divisions du « Seigneur de la Roue courroucé » et appuieront leur « ami » de Shambhala. Cet appui pour le roi guerrier de Shambhala est probablement dû à son prédécesseur, Manjushrikirti, qui réussit à intégrer les 120 millions de Rishis hindous dans le système religieux tantrique (Banerjee, 1985, p. xiii).

Si comme le dit la légende, l’auteur du Kalachakra Tantra était le Bouddha historique, Shakyamuni en personne, alors il avait dû oublier toute sa vision et son message de paix et avait une fascination vraiment grande pour la chose militaire. Car l’armement joue un rôle majeur dans le Tantra du Temps. Ici aussi, par « arme » est entendu tout moyen d’accomplir la mise à mort physique d’être humains. Il est aussi dit du successeur martial de Bouddha, le Rudra Chakrin à venir, que « la sella (une arme mortelle) à la main … il proclamera le Kalachakra sur terre pour la libération des êtres » (Banerjee, 1959, p. 213).

Machines de guerre meurtrières

La description graphique des machines de guerre auxquelles la déité du Kalachakra consacre un grand nombre de pages dès le premier chapitre du tantra est vraiment impressionnante et stupéfiante (Newman, 1987, pp. 553-570, vers 135-145 ; Grönbold, 1996). Un total de sept sortes d’armes exceptionnellement destructrices est présenté. Toutes prennent la forme d’une roue. Le texte les nomme des yantras. Il y a une « machine à vent » qui est surtout mise en œuvre contre les forts de montagne. Elle flotte au-dessus de l’armée ennemie et laisse tomber de l’huile bouillante sur elle. La même chose arrive aux maisons et aux palais de l’adversaire. La seconde sorte d’arme est décrite comme une « épée dans la machine du sol ». Celle-ci sert de protection personnelle pour le « Seigneur de la Roue courroucé ». Quiconque entre dans son palais sans permission et marche sur la machine cachée sous le plancher est inévitablement mis en pièces. La troisième sorte d’arme est la « machine à harpon », une sorte d’ancienne mitrailleuse. Sur simple pression du doigt, « de nombreuses flèches précises et pointes de harpons tranchantes percent et passent à travers le corps d’un éléphant cuirassé » (Newman, 1987, p. 506).

Nous faisons la connaissance de trois autres « armes rotatives » extrêmement efficaces qui tranchent tout, en particulier les têtes des soldats ennemis. L’une d’entre elles est comparée aux roues du char du soleil. Il s’agit probablement d’une variante du disque solaire que le dieu indien Vishnou met en œuvre avec succès contre les hordes de démons. De telles roues de mort ont joué un rôle important dans l’histoire militaire magique du Tibet jusqu’à notre siècle. Nous reviendrons sur ce thème ultérieurement. De nos jours, les adeptes du mythe de Shambhala voient dans ces roues des « avions » ou des « OVNIS » armés de bombes atomiques et pilotés par les renforts extraterrestres du roi du monde.

A la lumière des nombreux instruments meurtriers qui sont énumérés dans le Kalachakra Tantra, un problème moral a manifestement surgi pour certains bouddhistes « orthodoxes », ce qui les conduisit à interpréter les armes rotatives d’une manière purement symbolique. Elles représenteraient des moyens radicaux pour détruire son propre ego humain. Le grand spécialiste et commentateur du Kalachakra, Khas Grubje, s’oppose expressément à cette pieuse tentative. D’après lui, les machines « doivent être prises littéralement » (Newman, 1987, p. 561).

La « bataille finale »

Revenons au Rudra Chakrin, le rédempteur apocalyptique tantrique. Il apparaît à une époque où la doctrine bouddhiste est largement éradiquée. D’après les prophéties, c’est l’époque des « non-dharmas », auxquels il s’oppose. Avant que puisse avoir lieu la bataille finale contre les ennemis du bouddhisme, l’état du monde s’est dramatiquement aggravé. La planète est inondée de désastres naturels, de famines, d’épidémies et de guerres. Les gens deviennent toujours plus matérialistes et égoïstes. La vraie piété disparaît. La morale devient dépravée. Le pouvoir et la richesse sont les seules idoles. Un parallèle avec la doctrine hindoue du Kali yuga est évident ici.

En ces temps mauvais, un « roi barbare » despotique force toutes les nations autres que Shambhala à se soumettre à son pouvoir, de sorte qu’à la fin seules deux grandes forces restent en présence : d’une part le « roi des barbares » dépravé soutenu par le « seigneur de tous les démons », et d’autre part Rudra Chakrin, le messie bouddhiste courroucé. Pour finir, le souverain barbare subjugue le monde entier sauf le royaume mythique de Shambhala. L’existence de celui-ci est un incroyable aiguillon pour le roi barbare et ses sujets : « Leur jalousie dépassera toutes les limites, montant comme les vagues de la mer. Exaspérés qu’un tel pays puisse échapper à leur contrôle, ils rassembleront une armée et se mettront en route pour le conquérir » (Bernbaum, 1980, p. 240). On en arrive ensuite, dit la prophétie, à une brutale confrontation. [2]

A coté des descriptions venant du Kalachakra Tantra, on peut trouver beaucoup d’autres représentations littéraires de cette bataille apocalyptique bouddhiste. Elles ne parviennent pas à dissimuler leur plaisir devant la guerre et le triomphe sur les cadavres des ennemis. Voici un passage écrit par le peintre russe et croyant de Shambhala, Nicolas Roerich, qui devint bien connu dans les années 30 comme fondateur d’une organisation mondiale pour la paix (« Bannière de Paix ») : « Dur est le sort des ennemis de Shambhala. Une juste colère empourpre les nuages bleu pourpre. Les guerriers du Rigden-jyepo [le nom tibétain du Rudra Chakrin], en armure splendide avec des épées et des lances, poursuivent leurs ennemis terrifiés. Beaucoup d’entre eux sont déjà abattus et leurs armes, chapeaux et tous leurs biens sont dispersés sur le champ de bataille. Certains d’entre eux sont mourants, détruits par une juste main. Leur chef est déjà frappé et gît sous le cheval du grand guerrier, le Rigden béni. Derrière le Souverain, sur des chars, suivent de terribles canons, auxquels aucun mur ne peut résister. Certains des ennemis, à genoux, implorent la pitié, ou tentent d’échapper à leur sort sur le dos d’éléphants. Mais l’épée de la justice frappe les calomniateurs. L’Obscur doit être annihilé. » (Roerich, 1985, p. 232). L’« Obscur » représente les adeptes des autres religions, les opposants au bouddhisme et donc à Shambhala. Ils sont tous abattus sans pitié durant la « bataille finale ». Dans cette joyeuse vague de destruction, les guerriers bouddhistes oublient complètement le Vœu du Boddhisattva qui prêche la compassion envers tous les êtres.

Les combats de la bataille des derniers jours (en l’an 2327), d’après les commentaires du Kalachakra Tantra, sont supposées s’étendre jusqu’en Turquie de l’Est, en passant par l’Iran (Bernbaum, 1982, p. 251). Les régions d’origine du Kalachakra Tantra sont également citées comme étant le site des futurs champs de bataille eschatologiques (les pays du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, du Turkménistan et d’Afghanistan). Cela a une certaine justification historique, puisque le flanc « islamique » sud de l’ex-Union soviétique compte parmi les régions les plus explosives de la période actuelle (voir à cet égard le Spiegel, 20/1998, pp. 160-161).

La conquête du Kailas, la montagne sacrée, est citée comme un autre objectif stratégique dans la bataille de Shambhala. Après que le Rudra Chakrin ait « tué [ses ennemis] dans la bataille menée à travers le monde entier, à la fin des temps le roi du monde entrera avec sa quadruple armée dans la ville qui fut construite par les dieux sur la montagne du Kailas » (Banerjee, 1959, p. 215). En général, « partout où la religion [bouddhiste] a été détruite et où le Kali Yuga est en progrès, il ira » (Banerjee, 1959, p. 52). [3]

Bouddha contre Allah

Les armées du Rudra Chakrin détruiront le « non-Dharma » et les doctrines des « hordes barbares irréligieuses ». Par cela, d’après le texte originel du Kalachakra Tantra, c’est avant tout le Coran qui est visé. Mahomet lui-même est désigné par son nom plusieurs fois dans le Tantra du Temps, de même que son seul dieu, Allah. Nous apprenons que les barbares sont appelés Mleccha, ce qui signifie les « habitants de La Mecque » (Petri, 1966, p. 107). Ces jours-ci, Rudra Chakrin est déjà célébré comme le « tueur des Mlecchas » (Banerjee, 1959, p. 52). Cette fixation du tantra suprême sur l’islam est bien compréhensible, car au cours de l’histoire les adeptes de Mahomet ont non seulement causé de terribles ravages parmi les monastères et les communautés bouddhistes de l’Inde, mais pour une bonne partie du petit peuple la doctrine islamique a aussi dû paraître plus attractive et sympathique que les complexités d’un bouddhisme représenté par une communauté élitiste de moines. En Asie Centrale il y eut de nombreux « traîtres » qui se tournèrent volontiers et facilement vers le Coran. De telles conversions parmi le petit peuple ont dû toucher les cœurs des moines bouddhistes plus durement que les conséquences directes de la guerre. C’est pourquoi le Kalachakra Tantra, composé à l’époque où les hordes musulmanes faisaient rage au Pendjab et le long de la Route de la Soie, est marqué par une haine implacable pour les « sous-humains » de la Mecque.

La division dualiste du monde entre bouddhisme d’une part et islam de l’autre est un dogme que les lamas tibétains cherchent à transférer au futur de toute l’histoire humaine. « D’après certaines conjectures », écrit un commentateur occidental à propos du mythe de Shambhala, « deux superpuissances auront alors le contrôle du monde et se mettront en campagne l’une contre l’autre. Les Tibétains prévoient ici une Troisième guerre mondiale » (Henss, 1985, p. 19).

Dans la partie historique de notre analyse, nous parlerons à nouveau de cette dangereuse antinomie. Comparées à celle de Mahomet, les autres « fausses doctrines » également mentionnées dans le premier chapitre du Kalachakra Tantra comme devant être combattues par le roi de Shambhala semblent pâles et insignifiantes. Il est cependant utile de les présenter, afin de montrer quels sont les fondateurs de religion que la conception tantrique globale de l’ennemi a cherché à inclure. Le Kalachakra cite Enoch, Abraham et Moïse parmi les juifs, puis Jésus pour les chrétiens, et un homme « vêtu de blanc » qui est généralement supposé être Mani, le fondateur du manichéisme. Il est très surprenant que dans un autre passage, les « fausses doctrines » de ces fondateurs religieux soient minimisées et même intégrées dans le système tantrique. Après avoir été sévèrement attaquées comme « hérésies » dans le premier chapitre, elles forment les diverses facettes d’un cristal dans le second, et le yogi reçoit l’instruction de ne pas les dénigrer (Grönbold, 1992a, p. 295).

De telles incohérences sont – comme nous en avons déjà souvent fait l’expérience – des ajouts de la philosophie tantrique elle-même. Le second chapitre du Kalachakra Tantra ne traite donc pas d’une revendication de liberté de religion et d’opinion à la manière occidentale, au contraire la tolérance apparente et la pensée en termes d’« ennemi » sont toutes deux conservées en parallèle, et sont, suivant la situation, échangées pour servir les intérêts du pouvoir tantrique. Le Quatorzième Dalaï-lama est – comme nous le montrerons en détail – un habile interprète de ce double jeu. Extérieurement, il épouse la liberté religieuse et la paix œcuménique. Mais à l’opposé, dans le système rituel il se concentre sur l’agressif Tantra du Temps, dont le scénario est dominé par des fantaisies destructrices, des rêves d’omnipotence, des désirs de conquête, des explosions de colère, des obsessions pyromanes, l’absence de pitié, la haine, la frénésie meurtrière, et des apocalypses. Le fait que pour le « roi-dieu » tibétain de telles images despotiques déterminent aussi les « affaires internes » des Tibétains en exil est quelque chose dont nous parlerons dans la seconde partie de notre étude.

Après avoir gagné la bataille finale, prophétise le Kalachakra Tantra, le Rudra Chakrin fondera l’« âge d’or ». Un paradis purement bouddhiste sera établi sur terre. La joie et la richesse abonderont. Il n’y aura plus de guerre. Chacun possèdera de grands pouvoirs magiques, la science et la technologie s’épanouiront. Les gens vivront jusqu’à l’âge de 1.800 ans et n’auront plus besoin de craindre la mort, puisqu’ils renaîtront dans un Eden encore plus beau. Cet état de félicité prévaudra pendant environ 20.000 ans. Le Kalachakra Tantra se sera alors répandu dans tous les recoins du globe et deviendra la seule « vraie » religion mondiale (mais après cela, le vieux cycle avec ses guerres de destructions, de défaites et de victoires recommence).

Les origines non-bouddhistes du mythe de Shambhala

Visions apocalyptiques, batailles finales entre Bien et Mal, sauveurs avec des armes meurtrières dans leurs mains ne sont absolument pas le fait du bouddhisme Hinayana. Ils apparaissent pour la première fois dans la période Mahayana (200 av. JC), sont ensuite incorporés dans le Vajrayana (400 apr. JC) et trouvent leur forme finale et centrale dans le Kalachakra Tantra (dixième siècle apr. JC). C’est pourquoi, comme dans le cas de l’ADI BOUDDHA, la question se pose de savoir où les influences non-bouddhistes sur le mythe de Shambhala doivent être recherchées.

Cependant avant d’en venir à cela, nous devons examiner la célèbre prophétie du Maitreya, qui s’oppose à la vision de Shambhala et au Kalachakra Tantra. Déjà durant l’ère Gandhara (200 av. JC), Maitreya est connu comme le futur Bouddha qui s’incarnera sur terre. Il réside encore dans le dénommé ciel de Tushita et attend sa mission. Les images de lui frappent tout de suite l’observateur parce qu’à la différence d’autres descriptions du Bouddha il ne se tient pas dans la position du lotus, mais est plutôt assis dans un style « européen », comme dans un fauteuil. Dans son cas aussi, le monde tombe d’abord dans le déclin avant qu’il apparaisse pour venir en aide à l’humanité souffrante. Cependant son épiphanie est, d’après la plupart des récits, beaucoup plus bienfaisante et pacifique que celle du « Seigneur de la Roue courroucé ». Mais il y a aussi d’autres prophéties plus agressives du septième siècle où il vient d’abord sur terre comme un messie à la suite d’une bataille finale apocalyptique (Sponberg, 1988, p. 31). Pour le peintre russe et chercheur de Shambhala, Nicolas Roerich, il n’y a en fin de compte plus aucune différence entre Maitreya et Rudra Chakrin, ce sont simplement deux noms pour le même rédempteur.

Sans aucun doute, le Kalachakra Tantra est surtout dominé par des conceptions qui peuvent aussi être trouvées dans l’hindouisme. Cela est particulièrement vrai pour les techniques de yoga, mais s’applique aussi à la cosmologie et à la destruction et au renouveau cycliques de l’univers. Dans les prophéties hindoues aussi, le dieu Vishnou apparaît comme sauveur à la fin du Kali Yuga, lui aussi, à ce propos, sur un cheval blanc comme le Rudra Chakrin bouddhiste, pour exterminer les ennemis de la religion. Il porte même le nom dynastique des rois de Shambhala et est connu sous le nom de Kalki.

Parmi les chercheurs universitaires il y a cependant l’opinion largement répandue que le thème du sauveur, qu’il soit Vishnou ou le Bouddha Maitreya ou même le Rudra Chakrin, est d’origine iranienne. La brutale distinction entre les forces de la lumière et de l’obscurité, le scénario apocalyptique, les images de bataille, l’idée d’un souverain mondial militant, et même le modèle du mandala des cinq Bouddhas en méditation, étaient inconnus parmi les communautés bouddhistes d’origine. Le bouddhisme, seul parmi toutes les religions du salut, ne voit pas de sauveur derrière l’expérience de l’illumination de Gautama. Mais pour l’Iran ces motifs de salut étaient (et sont encore aujourd’hui) centraux.

Dans une étude convaincante, l’orientaliste Heinrich von Stietencron a montré comment – depuis le premier siècle après JC au plus tard – des prêtres iraniens du soleil s’infiltrèrent en Inde et fusionnèrent leurs concepts avec les religions locales, en particulier le bouddhisme (Stietencron, 1965, p. 170). Ils étaient connus sous le nom de Maga et Bhojaka. Les Magas, dont provient notre mot « mage », apportèrent avec eux entre autres choses le culte de Mithra et le combinèrent avec des éléments du culte solaire hindou. Les spécialistes occidentaux présument que le nom de Maitreya, le Bouddha futur, est dérivé de Mithra.

Les Bhojakas, qui suivirent des siècles plus tard (600-700 apr. JC), croyaient qu’ils émanaient du corps de leur dieu solaire. Ils proclamaient aussi qu’ils étaient les descendants de Zarathoustra. En Inde, ils créèrent une religion solaire mixte d’après les doctrines de l’Avesta (les enseignements de Zarathoustra) et du bouddhisme Mahayana. Aux bouddhistes, ils empruntèrent la pratique du jeûne et l’interdiction de cultiver les champs et de faire du commerce. En retour, ils influencèrent le bouddhisme principalement avec leurs visions de lumière. Leurs « photismes » ont probablement fortement contribué à former la figure rayonnante du Bouddha Amitabha. Comme ils plaçaient le dieu du temps, Zurvan, au centre de leur culte, il se peut aussi qu’ils aient anticipé les doctrines essentielles du Kalachakra Tantra.

Comme la déité Kalachakra que nous avons décrite, le Zurvan iranien contient l’univers entier dans son corps mystique : le soleil, la lune et les étoiles. Les diverses divisions du temps comme les heures, les jours et les mois résident en lui sous forme d’êtres personnifiés. Il est le souverain du temps éternel et du temps historique. La lumière blanche et les couleurs de l’arc-en-ciel jaillissent de lui. Ses adorateurs le prient en tant que « père-mère ». Il est parfois représenté avec quatre têtes comme le dieu bouddhiste du temps. Il gouverne en tant que « père du feu » ou « feu de la victoire ». En lui, le feu et le temps sont fusionnés. Il est aussi le temps cyclique, dans lequel le monde est englouti par les flammes afin de renaître.

Le manichéisme (à partir du troisième siècle) emprunta aussi de nombreux éléments à la religion de Zurvan et les fusionna avec des idées chrétiennes/gnostiques et ajouta des concepts bouddhistes. Le fondateur de la religion, Mani, entreprit un fructueux voyage missionnaire en Inde. Des orientalistes renommés supposent que ses enseignements eurent aussi une influence en retour sur le bouddhisme. Entre autres aspects, ils mentionnent le groupe des cinq Bouddhas en méditation, le dualisme du bien et du mal, de la lumière et de l’obscurité, le corps du saint homme comme monde en microcosme, et le concept du salut. Plus spécifiques sont les robes blanches que portent les moines dans le royaume de Shambhala. Le blanc était la couleur culte de la caste sacerdotale manichéenne et n’est pas la couleur normale des vêtements dans le bouddhisme. Mais l’érotisme flagrant que l’orientaliste et traducteur du Kalachakra, Albert Grünwedel, voyait dans le manichéisme, n’était pas présent ici. Au contraire, la religion de Mani présente des traits extrêmement « puritains » et rejette tout ce qui est sexuel : le « péché du sexe », aurait-il dit, « est une chose animale, une imitation de l’accouplement diabolique. Avant tout il produit toute la propagation et la continuation du mal originel » (cité par Hermann, 1965, p. 105).

Alors que le célèbre spécialiste italien du Tibet, Giuseppe Tucci, pense que des influences iraniennes peuvent être détectées dans la doctrine de l’ADI BOUDDHA, il voit le courant tibétain-lamaïste dans son ensemble comme un courant plutôt gnostique, puisqu’il tente de surmonter le dualisme du bien et du mal et ne colporte pas le moralisme extrême de l’Avesta ou des manichéens. C’est certainement vrai pour la voie du yoga dans le Kalachakra Tantra, mais cela ne l’est pas pour l’eschatologie du mythe de Shambhala. Là, le « prince de lumière » (Rudra Chakrin) et le dépravé « prince des ténèbres » partent en campagne l’un contre l’autre.

Il y eut une influence iranienne directe sur le culte Bôn, la religion d’Etat qui précéda le bouddhisme au Tibet. Le Bôn, souvent confondu à tort avec les vieilles cultures chamanistes des hauts plateaux, est une religion explicite de la lumière avec un clergé organisé, un sauveur (Shen rab) et un royaume de paradis (Olmolungring) qui ressemble au royaume de Shambhala d’une manière stupéfiante.

Il existe une tradition en Europe qui suppose l’existence d’anciennes influences égyptiennes sur la culture tantrique du Tibet. Cela a probablement son origine dans les écrits occultes du jésuite Athanasius Kirchner (1602-1680), qui croyait avoir découvert le berceau de toutes les civilisations avancées, y compris celle des Tibétains, dans le Pays du Nil. Le capitaine britannique S. Turner qui visita les hauts plateaux en 1783, était aussi convaincu d’une continuité entre l’ancienne Egypte et le Tibet. Même durant ce siècle, Siegbert Hummel voyait le « Pays des Neiges » presque comme une « réserve de traditions méditerranéennes » et nommait également l’Egypte comme étant l’origine de la tradition des mystères tibétains (Hummel, 1954, p. 129; 1962, p. 31). Mais ce fut surtout l’occultiste Helena Blavatsky qui vit les origines des deux cultures comme provenant de la même source. Les deux « sociétés secrètes surnaturelles » qui lui soufflèrent ses idées étaient la « Fraternité de Louxor » et la « Fraternité tibétaine ».

L’influence grecque déterminante sur l’art sacré du bouddhisme (le style Gandhara) devint un événement mondial qui laissa des traces jusqu’au Japon. De même, l’effet des idées hellénistiques sur le développement des doctrines bouddhistes est bien attesté. Il y a une quasi-unanimité sur le fait que sans cette rencontre le Mahayana n’aurait même pas été possible. D’après les études de l’ethnologue Mario Bussagli, les enseignements hermétiques et alchimiques sont aussi supposés être entrés en contact avec la vision-du-monde bouddhiste par la Bactriane hellénistique (l’Afghanistan d’aujourd’hui) et l’empire Kusch qui la suivit, dont les souverains étaient d’origine scythe mais avaient adopté la langue et la culture grecques (Bussagli, 1985).

Evaluation du mythe de Shambhala

Les origines et contenus anciens de l’Etat de Shambhala en font, lorsqu’on le regarde du point de vue de la science politique occidentale, un modèle antidémocratique, totalitaire, doctrinaire et patriarcal. Il se préoccupe d’une construction idéale répressive qui doit être imposée à toute l’humanité à la suite d’une « guerre finale ». C’est ici le souverain (le roi de Shambhala), et en aucun cas le peuple, qui décide des normes légales. Il gouverne en tant que monarque absolu d’une bouddhocratie planétaire. Roi et Etat forment même une unité mystique, dans un sens littéral, pas figuré, car les courants d’énergie corporelle du souverain sont identiques aux événements politiques externes. Les divers niveaux administratifs de Shambhala (vice-rois, gouverneurs et fonctionnaires) sont donc considérés comme l’extension des membres du souverain.

En plus de cela, l’Etat de Shambhala (contrairement aux enseignements originels du Bouddha) est basé sur la claire différenciation entre ami et ennemi. Sa pensée politique est profondément dualiste, allant jusqu’à inclure la sphère morale. L’islam est considéré comme l’ennemi juré du pays. Pour résoudre des conflits aggravés, la société de Shambhala a recours à une machinerie militaire « high-tech » et extrêmement violente et emploie l’utopie sociopolitique du « paradis sur terre » comme thème central de sa propagande.

Il s’ensuit de tous ces traits que les actuelles et constantes professions de foi du Quatorzième Dalaï-lama en faveur des fondamentaux de la démocratie occidentale demeurent des phrases creuses tant qu’il continue à placer le Kalachakra Tantra et le mythe de Shambhala au centre de son existence rituelle. L’objection généralement avancée par les lamas et les bouddhistes occidentaux, selon laquelle Shambhala concerne une institution métaphysique et non une institution terrestre, ne tient pas. Nous savons par l’histoire que les sociétés traditionnelles tibétaine et mongole cultivaient toutes deux le mythe de Shambhala sans jamais tracer la moindre distinction entre un aspect terrestre et un aspect métaphysique en cette matière. Dans les deux pays, tout ce que le chef d’Etat bouddhocratique décidait était sacré en soi.

L’argument selon lequel la vision de Shambhala serait une « récompense céleste » lointaine n’est pas convaincant non plus. Le mythe guerrier agressif et l’idée d’un ADI BOUDDHA contrôlant le monde ont influencé l’histoire du Tibet et de la Mongolie pendant des siècles comme un programme politique rigide, orienté vers les décisions de l’élite de pouvoir cléricale. Dans la seconde partie de notre étude, nous présenterons au lecteur ce programme et son exécution historique. Nous reviendrons sur le sujet que d’après la vision de certains lamas, l’Etat tibétain représente une copie terrestre du royaume de Shambhala et le Dalaï-lama une émanation du roi de Shambhala.

Shambhala « intérieur » et « extérieur »

En réponse à la question de savoir pourquoi le « souverain mondial sur le Trône du Lion » (le roi de Shambhala) n’intervient pas pacifiquement et positivement dans le destin de l’humanité, l’adepte français du Kalachakra, Jean Rivière, répondit : « Il n’inspire pas la politique mondiale et n’intervient pas directement ou humainement dans les conflits des êtres re-nés. Son rôle est spirituel, complètement intérieur, individuel pourrait-on dire » (Rivière, 1985, p. 36).

Une telle « intériorisation » ou « psychologisation » du mythe est appliquée par quelques auteurs à tout le royaume bouddhocratique, y compris l’histoire de Shambhala et la bataille finale prophétisée ici. Le pays, avec tous ses vice-rois, ministres, généraux, fonctionnaires, guerriers, dames de cour, filles vajra, palais et dépendances, corps administratifs et dogmes, apparaît maintenant comme un modèle structurel qui décrit le corps mystique d’un yogi : « Si vous pouvez utiliser votre corps de la bonne manière, alors le corps devient Shambhala, les 96 principautés concourent dans toutes leurs actions, et vous conquérez le royaume lui-même. » (Bernbaum, 1980, p. 155)

Le difficile « voyage vers Shambhala » et la « bataille finale » sont aussi subjectivisés et identifiés comme étant respectivement un « chemin initiatique » ou une « bataille intérieure de l’âme » sur la route de l’illumination. Dans ce drame psycho-mystique, le souverain des derniers jours, Rudra Chakrin, joue le rôle du « Moi supérieur » ou de la « conscience divine » du yogi, qui déclare la guerre à l’ego humain dans la figure du « roi barbare » et l’extermine. Le paradis prophétisé désigne l’illumination du postulant à l’initiation.

Nous avons déjà très souvent rencontré l’habitude répandue avant tout chez les bouddhistes occidentaux d’intérioriser ou de « psychologiser » exclusivement des images et des mythes tantriques. D’un point de vue « occidental », une intériorisation implique qu’une image externe (une guerre par exemple) doit être comprise comme le symbole d’un processus psychique/spirituel intérieur (par exemple, une guerre « psychologique »). Cependant, d’après la pensée orientale, à tendance magique, l’« identité » de l’intérieur et de l’extérieur signifie quelque chose de différent, à savoir que le processus intérieur dans le corps mystique du yogi correspond aux événements extérieurs, ou pour atténuer un peu cela, que l’intérieur et l’extérieur sont faits de la même substance (de « pur esprit » par exemple). L’extérieur n’est donc pas une métaphore de l’intérieur comme dans la conception symbolique occidentale, mais ce sont plutôt les deux, l’intérieur et l’extérieur, qui correspondent l’un à l’autre. Il est vrai que cela implique que l’extérieur puisse être influencé par des manipulations intérieures, mais pas qu’il disparaisse de ce fait. Si l’on applique ce concept à l’exemple mentionné plus haut, cela entraîne la simple affirmation suivante : la guerre de Shambhala a lieu intérieurement et extérieurement. De même que le corps mystique (intérieur) de l’ADI BOUDDHA est identique au cosmos entier (extérieur), le corps mystique (intérieur) du roi de Shambhala est identique à son Etat (extérieur).

Le mythe de Shambhala et les idéologies dérivées de lui se trouvent en opposition absolue avec la vision originelle de paix de Gautama le Bouddha et avec la politique d’Ahimsa (politique de non-violence) du Mahatma Gandhi, auquel l’actuel Dalaï-lama se réfère si souvent. Pour les Occidentaux sensibilisés par le message pacifiste du bouddhisme, l’« intériorisation » du mythe peut donc être une manière d’éviter l’ambiance militante du Kalachakra Tantra. Mais dans l’histoire tibétaine/mongole, la prophétie de Shambhala a été prise au sens littéral pendant des siècles, et – comme il nous reste à le démontrer – a conduit à des entreprises politiques extrêmement agressives. Elle porte en elle – et c’est une chose sur laquelle nous reviendrons en détail – les germes d’une idéologie fondamentaliste mondiale de la guerre.



Notes :

[1] Dans les années 30, Jean Marquès Rivière travaillait pour le journal Le Voile d’Isis, dans lequel publiait l’élite occulte de l’Europe. L’éditeur était René Guénon. Durant cette période, Rivière accomplit un rituel tantrique (« avec du sang et de l’alcool »), qui le laissa possédé par une déité tibétaine. C’est seulement par l’intervention d’un exorciste catholique qu’il put être libéré de la possession. Par gratitude, il se convertit au christianisme. Mais plusieurs années plus tard il devait à nouveau se trouver dans le camp bouddhiste (Robin, 1986, p. 325).

[2] Dans une autre version de la prophétie, les barbares réussissent d’abord à pénétrer dans le pays merveilleux et à mettre à sac le palais du roi. Rudra Chakrin fait alors l’offre de gouverner Shambhala conjointement avec ses adversaires. Le roi barbare accepte apparemment, mais tente ensuite de prendre seul le contrôle par une tentative d’assassinat. Mais la tentative échoue, et le roi de Shambhala s’échappe. Alors seulement survient la sanglante bataille finale du Bien contre le Mal.

[3] Le scénario des guerres de Shambhala ne peut pas être facilement mis en accord avec la totale chute du monde provoquée par le maître tantrique que nous avons décrit plus haut. Rudra Chakrin est un commandant qui conduit ses batailles ici sur terre et qui les étend au mieux aux autres onze continents du modèle bouddhiste du monde. Ses adversaires sont avant tout les fidèles d’Allah. Si mondiale que puisse être sa mission, elle est encore accomplie dans le cadre du cosmos existant. Dans d’autres passages textuels, le roi de Shambhala à venir est aussi comparé à l’ADI BOUDDHA, qui à la fin du Kali Yuga ravage tout l’univers et déclenche une guerre des étoiles. Ce n’est cependant pas le but de cette étude d’expliquer de telles contradictions.